Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

véritable triomphe au retour. Sa blessure, qui le força quelque temps de se servir de béquilles, le rendit populaire, et l’on donna sur un théâtre de Paris une pièce où on le représentait montant à l’assaut. Louis XVI lui conféra l’ordre, du Mérite, ; institué sous le règne de Louis XV pour les officiers étrangers que leur religion empêchait d’être chevaliers de Saint-Louis ; il lui donna en outre une pension à vie de 6,000 francs[1]. Gustave III, de son côté, adressa une lettre de félicitations à Stedingk pour la prise de la Grenade, et lui envoya sa croix de l’Épée. Il écrivit de plus à Marie-Antoinette, probablement d’Aix-la-Chapelle ou de Spa, pour lui faine donner un régiment-propriétaire, et la reine fit au roi de Suède la réponse suivante en date du 3 novembre 1780 :


« Monsieur mon frère et cousin, les Suédois qui sont venus ici ont justifié par leur conduite et leurs qualités personnelles le bon accueil que je leur ai fait, et j’ai eu grand plaisir à leur témoigner mes sentimens pour leur souverain. Quant à M. de Stedingk, il est impossible, quand on le connaît, de ne pas s’y intéresser ; votre majesté doit bien compter que sa recommandation lui assure tous les avantages qui dépendront de moi. Le retour de Mme de Boufflers m’a fait d’autant plus de plaisir qu’il me donne l’occasion de parler de votre majesté et du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine,

« MARIE-ANTOINETTE[2]. »


En attendant, Stedingk était fêté à Versailles ; la reine le voulut avoir à ses petits soupers. Les étrangers n’y étaient pas admis d’ordinaire,

  1. La révolution priva naturellement M. de Stedingk de cette pension. En 1810, Napoléon lui fit offrir le remboursement, avec les intérêts, de la somme entière qu’on lui devait en France ; les circonstances politiques ne lui permirent pas d’accepter. Plus tard, une banqueroute survenue en Russie, ayant fait brèche à sa fortune, Stedingk adressa à Louis XVIII une réclamation à cet égard, qui ne fut pas écoutée. Il avait cependant à cette date rendu de nouveaux services aux Bourbons : il avait conduit la duchesse d’Angoulême pendant son exil, à bord de la frégate l’Eurydice, de Libau à Carlscrona ; c’est de là qu’elle s’était embarquée pour l’Angleterre pendant l’été de 1808. La duchesse avait même offert, à cette occasion, d’adopter la troisième fille de Stedingk qu’elle avait prise en affection, et de qui je tiens ces renseignemens.
  2. Mes sources les plus ordinaires, dans le cours de cette étude, sont les archives de notre ministère des affaires étrangères, celles de Suède et de Danemark, et la collection des papiers de Gustave III à Upsal. Les quatre lettres de Marie-Antoinette citées dans la première partie de cet article, ainsi qu’une lettre de Louis XVI du 26 septembre 1784, qui a sa place un peu plus loin, sont empruntées d’un ouvrage étranger. La discussion où j’ai du entrer tout à l’heure me rendant scrupuleux, je dois dire que l’auteur de ce volume, en publiant ces lettres inédites, n’a pas donné les garanties d’authenticité. Elles figurent ici jusqu’à plus ample informé, comme inconnues en France et vraisemblables. Quant aux autres lettrée de Louis XVI et à celles de Gustave III qui se présenteront dans la suite de notre récit, elles sont copiées sur les originaux autographes ou sur les minutes officielles des archives ; de Suède ou de France : rien de plus sûrement authentique.