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chose quand, une demi-heure après la naissance, les deux battans de la chambre de la reine s’ouvrirent, et qu’on annonça M. le dauphin. Mme de Guéménée, toute rayonnante de joie, le tint dans ses bras, et traversa dans son fauteuil les appartemens pour le porter chez elle. Ce furent des acclamations et des battemens de mains qui pénétrèrent dans la chambre de la reine et certainement jusque dans son cœur. C’était à qui toucherait l’enfant, la chaise même. On l’adorait, on la suivait en foule. Arrivé dans son appartement, un archevêque voulut qu’on le décorât d’abord du cordon bleu, mais le roi dit qu’il fallait qu’il fût chrétien premièrement. Le baptême s’est fait à trois heures après midi…

« On n’avait pas osé dire d’abord à la reine que c’était un dauphin, pour ne pas lui causer une émotion trop vive. Tout ce qui l’entourait se composait si bien que la reine, ne voyant autour d’elle que de la contrainte, crut que c’était une fille. Elle dit : « Vous voyez comme je suis raisonnable, je ne vous demande rien. » Le roi, voyant ses inquiétudes, crût qu’il était temps de l’en tirer. Il lui dit, les larmes aux yeux : « M. le dauphin demande d’entrer. » On lui apporta l’enfant, et ceux-qui ont été témoins de cette scène disent qu’ils n’ont jamais rien vu de plus touchant. Elle dit à Mme de Guéménée, qui prit l’enfant : « Prenez-le, il est à l’état ; mais aussi je reprends ma fille. » Il est temps que je finisse ce bulletin ; je demande très humblement pardon à votre majesté du désordre qui y règne. On me dit que le courrier part, et je n’ai pas le temps de le mettre au net. »


Ce récit, vivement conté, est plus intéressant et plus complet que celui de Mme Campan. Voilà comment ces étrangers maniaient notre langue, voilà ce qu’étaient ces Suédois à la cour de Versailles. Par eux, Gustave III était présent à cette cour ; il était très sincère quand il répondait, le 10 décembre, à la précédente lettre de Stedingk : « Les détails que vous m’envoyez sur l’accouchement de la reine de France m’ont fait un plaisir infini. Personne ne pouvait s’y intéresser plus que moi, et je vous assure qu’on a eu autant de joie à Drottningholm de la naissance du dauphin qu’on en a pu avoir à Versailles. Vous m’avez transporté un instant dans ce dernier château… Je n’ai pu m’empêcher de rire de la manière galante avec laquelle vous avez annoncé à Madame que son mari avait perdu l’espérance d’être roi de France. Il est si naturel d’être attaché à la reine, et elle vous a si particulièrement comblé de bontés, que vous ne pouviez moins vivement partager un événement si heureux pour elle sans manquer à la reconnaissance que vous lui devez, et comme Suédois, et comme particulièrement honoré de sa bienveillance. »

Il ne tint pas à Marie-Antoinette que Stedingk ne se fixât pour le reste de sa vie parmi nous : elle voulait lui faire épouser Mlle Necker, elle lui destina ensuite une riche héritière de Bourgogne ; mais Stedingk était jaloux de sa liberté, et quand Gustave III, commençant