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comme ils le font dans chaque lettre, la bienveillance témoignée quelques années plus tôt par la reine, si le scandale eût été attaché invinciblement à ce souvenir. Gustave III avait adressé à Louis XVI, dans les premiers jours de septembre 1783, le billet suivant :

« Monsieur mon frère et cousin, le comte de Fersen ayant servi dans les armées de votre majesté en Amérique avec une approbation générale, et s’étant rendu par là digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment-propriétaire, pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne, la sagesse de sa conduite, les talens et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire que ses services ne pourront qu’être agréables à votre majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre les devoirs qu’exige son service en France et en Suède, je vois avec plaisir que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence dont il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient tous les jours plus chère. C’est avec ces sentimens et ceux de la plus haute considération et de la plus parfaite estime que je suis, monsieur mon frère et cousin, de votre majesté le bon frère, cousin, ami et allié.

« Gustave. »

Très probablement le roi de Suède en avait pareillement écrit, comme pour Stedingk, à Marie-Antoinette, car on voit la reine elle-même envoyer à Gustave III cette réponse dès le 19 septembre :

« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte de Fersen pour vous renouveler les sentimens qui m’attachent à votre majesté ; la recommandation qu’elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous, et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici ; les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son caractère et ses bonnes qualités, a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu occasion de le connaître. J’espère qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. Je n’oublierai rien pour seconder les vues de votre majesté, et vous donner en cette occasion comme en toute autre les preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.

« Marie-Antoinette. »

Ainsi la reine elle-même, loin d’observer sur le compte du jeune officier suédois une réserve qu’on pourrait tenir pour suspecte, ne faisait aucune difficulté de lui accorder publiquement les éloges qu’il méritait, et d’en écrire au roi de Suède. Plus tard cependant, la calomnie se réveilla ; mais on sait que l’assertion des prétendus Mémoires de lord Holland à l’occasion de la nuit du 5 au 6 octobre