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toujours d’un Suédois qu’il s’agissait avec l’ambassade en perspective. Il fut plusieurs fois question de Stedingk et de Fersen ; le baron de Staël eut sur ses concurrens l’avantage d’un esprit résolu et actif : il alla trouver ses deux compatriotes et obtint de leur désintéressement l’abandon de toutes prétentions rivales. Bien que la reine eût d’elle-même favorisé successivement l’un et l’autre en vue de ce double succès, il sut obtenir que de Versailles on ne parlât finalement que pour lui. Dès 1781 (24 mars), nous voyons la reine écrire à Gustave III :


« M. le baron de Staël, dont je vous ai déjà parlé, est toujours fort aimé et considéré dans ce pays-ci, et je ne doute pas qu’on n’eût grand plaisir de le voir un jour fixé ici plus particulièrement au service de votre majesté. »


Deux ans après, le 11 mai 1783, la reine écrit encore au roi de Suède :


« Monsieur mon frère et cousin, M. le comte de Creutz, en quittant la France, emporte les regrets de toutes les personnes qui ont eu l’occasion de le connaître. Je profite de son départ pour témoigner à votre majesté ma reconnaissance à l’égard qu’elle a eu à ma recommandation, en faveur de M. de Staël. J’espère que sa conduite justifiera ce choix à la satisfaction des deux cours. Votre majesté ne doit pas ignorer que, dans la guerre qui est heureusement terminée, les officiers suédois se sont particulièrement, distingués. J’ai applaudi de tout mon cœur à l’éloge public que le roi a fait de leur conduite, et j’ai saisi cette occasion de manifester le sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.

« MARIE-ANTOINETTE. »


Dès l’époque de cette lettre, c’est-à-dire trois ans avant la conclusion du mariage, l’active intervention du roi et de la reine de France auprès de Mlle Necker en faveur de M. de Staël n’était plus un secret pour personne. Du cabinet même de Versailles, on en donnait l’assurance. M. de Sainte-Croix mandait à son tour de Stockholm, le 9 avril : « Le roi de Suède m’a fait part de ses desseins sur M. de Staël. Il m’a dit qu’il condescendrait d’autant plus volontiers à ses vœux qu’il n’ignore pas l’intérêt que la reine daigne prendre à son établissement. » Il fallut cependant trois années encore pour que le nouvel ambassadeur de Suède, au comble de ses vœux, pût écrire à Gustave III ces paroles deux fois enthousiastes : « Je n’aime en ce moment que ma femme et mon roi, et le premier de ces sentimens ne nuit pas au second. » La spirituelle ambassadrice avait enfin le droit de paraître à la cour ; sa présentation en février 1786 fit grand bruit. Elle y parut gauche, ayant manqué une de ses révérences et porté la garniture de sa robe un peu détachée ; mais