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compagnons, dont trois soldats ; heureusement, portes et fenêtres, tout était ouvert. A La Crosse, vers le soir, nous avons changé de bateau ; nous nous sommes embarqués sur le steamer Key City, immense et rapide machine où erraient quelques rares voyageurs, et où j’eus le bonheur d’occuper une cabine à moi tout seul. La soirée était grise et calme ; nous filions silencieusement sur le blanc miroir du fleuve, entre de grandes et gracieuses collines percées de vallées verdoyantes et couronnées d’une crête ardue de bluffs crénelés. Le lendemain, le paysage n’était pas moins riant, moins vert, moins sauvage ; mais il y pendait partout des nuées sombres et des rideaux de pluie. Les côtes s’abaissent peu à peu. On dit qu’aux environs de Saint-Louis la vallée est plate comme la main ; plus loin, vers son embouchure, il n’y a plus qu’une immense plaine de roseaux étendue à perte de vue jusqu’à l’horizon.

Voici enfin la ville de Dubuque avec ses clochers, ses grands bateaux à vapeur, ses murs de briques rouges. C’est la plus ancienne ville de l’état d’Iowa. Fondée par les Français en 1786, elle compte aujourd’hui environ huit mille habitans. En face, sur l’autre rive du fleuve, s’élève le gros village de Dunleith, où aboutissent deux ou trois chemins de fer, et qu’un bateau à vapeur toujours mouvant relie à Dubuque. Je me rendis hier à Galena, ville récente de l’Illinois, connue pour ses mines et ses fonderies de plomb, qui compte déjà plus de dix mille âmes. Je pris le chemin de fer de Dunleith à Chicago, longeant d’abord la vallée de La Fèvre, une jolie rivière entre de fertiles collines, et après quelque trente milles de chemin dans une campagne inhabitée je débarquai à Galena. Je vis une petite ville à cheval sur la vallée, couvrant les deux côtes, des jardins potagers à l’entour avec de pauvres cahutes, quelques jolies habitations rurales éparpillées dans les faubourgs, mais pas une seule cheminée d’usine, pas une fumée noire à l’horizon. Me voilà bien empêtré : sur la chaussée du chemin de fer, il y avait un grand tas de lingots de plomb ; où donc étaient les mines, les fonderies ? Probablement dans le voisinage, car dans la ville même il n’y en avait pas trace. Galena n’est pas le siège même de l’industrie minière, c’est son entrepôt et son centre d’exportation. Que vais-je faire de mes quatre heures ? Je traverse nonchalamment un pont de fer jeté sur la rivière. J’entends du bruit, des cris, une voix tonnante qui pérore ; je lève les yeux, et je vois en face de moi un nombreux rassemblement. Je m’approche, je m’y mêle : un orateur barbu, corpulent, à figure joviale, haranguait le peuple dans un langage âpre, grossier, entremêlé de bouffonneries qui mettaient son auditoire en grande joie. Il se promenait sur une estrade de planches, ornée de deux drapeaux des États-Unis. Der-