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qu’une bande de guérillas a pénétré dans la ville et occupe telle maison dans telle rue. Le général, qui dînait, envoie négligemment au poste voisin l’ordre d’entourer la maison et d’en déloger les rebelles. Ses soldats accourent, se rangent en ligne et font feu ; puis ils se précipitent, brisent, tuent, saccagent, brûlent enfin la maison suspecte… Il s’y trouvait des femmes, des enfans, un vieillard, un Allemand, artisan paisible, le plus loyal des citoyens ; il n’y avait pas un rebelle. L’erreur alors fut reconnue ; mais qu’importe ? On n’ose pas sévir contre des patriotes coupables seulement de trop de zèle.

A Memphis, dans le Tennessee, la situation est pire encore ; on assassine en pleine rue ; une troupe de soldats s’empare d’un homme, le mène sur la place publique et l’exécute. L’autorité fédérale a interdit sous les peines les plus sévères de posséder aucune monnaie d’or ou d’argent. La confiscation immédiate et un emprisonnement indéfini sont le châtiment du coupable ou de l’ignorant. Tous les habitans sont engagés de force dans la milice ; sur le refus d’en faire partie, on a vingt-quatre heures pour vider la place. Cependant les brigands confédérés rôdent par la ville en plein jour ; les déloyaux tentent les crimes les plus hardis. On met le feu aux bateaux à vapeur, aux arsenaux ; on se venge sur les choses quand on n’ose pas toucher les personnes. Pilot-Knob, dont je comptais visiter la montagne de fer et les mines de houille, vient d’être pillée pour la seconde fois. La guerre civile est dans toute la contrée, à quelques lieues seulement de Saint-Louis, et c’est au milieu de ce désordre qu’on va faire les élections !

La balance penchera sans doute du côté du sabre. Le gouvernement l’emportera, si à l’opposition des démocrates et des sudistes coalisés il peut opposer à son tour une coalition des radicaux abolitionistes et des républicains modérés. Le général Fremont, chef du parti radical et candidat favori des patriotes missouriens, n’a aucune chance de succès dans les autres états de l’Union ; si, comme tout porte à le croire, il retire sa candidature, ses amis reporteront leurs voix sur le président Lincoln. Malgré sa disgrâce déjà ancienne, le pathfinder laisse à Saint-Louis beaucoup de souvenirs et beaucoup de chauds partisans. J’entends raconter des choses curieuses de l’espèce de proconsulat et presque de royauté qu’il a exercée dans l’ouest. Comme toujours, les opinions varient beaucoup sur son compte : les radicaux le peignent comme un homme énergique, actif, un administrateur habile et un grand général. Les démocrates, les sudistes et le petit nombre de républicains modérés qu’on rencontre au Missouri s’unissent pour l’accabler. Ils en parlent comme d’un homme ambitieux, suffisant, indécis, dévoré