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Les border-states sont le foyer de ces trahisons. Le nord les a occupés avec ses armées ; il y a, comme on dit, protégé la liberté du vote, et sous ses auspices une administration républicaine a surgi partout des suffrages populaires dans un pays qui compté deux tiers de partisans du sud. La population s’y divise en citoyens loyaux, qui se disent fidèles à l’Union, et déloyaux, qui s’y disent hostiles ; on a imposé le serment de fidélité aux électeurs, et une classe considérable, ayant le courage de s’avouer déloyale, s’est trouvée du même coup exclue des droits politiques. Dans le Missouri, une assemblée constituante, nommée par les soins de l’armée, a prononcé récemment, avec un sursis de dix années, l’abolition radicale de l’esclavage. Un parti puissant la réclame déjà immédiate, et si l’on touche à la dernière loi, ce ne sera point pour en allonger le terme. En attendant, l’œuvre de l’abolition a commencé : par décret du président, les esclaves des rebelles ont été mis en liberté. Ceux des loyaux, anticipant sur leur délivrance, ont pris sans façon la clé des champs ; le gouvernement ne s’est pas soucié de les poursuivre, et leurs maîtres découragés n’osent plus les reprendre. L’esclavage est mort dès ce moment et tombe en désuétude avant le jour qui doit l’abroger légalement : il a diminué dans le Missouri des trois quarts, ailleurs d’une bonne moitié ; l’avenir enfin, dans un court délai, doit en effacer les dernières traces. On dirait donc que l’opinion publique est décidée pour l’abolition. Regardez pourtant le dessous des cartes ; suivez les mouvemens des déloyaux, leurs complots, leur concert occulte avec ceux qui, moins courageux ou plus politiques, n’avouent que leur opposition légale : on se dit citoyen des États-Unis, on est quelquefois au service du gouvernement fédéral, et l’on tend la main gauche à la rébellion. Les riches habitans du Missouri paient, nourrissent, choient les bandes de brigands qui désolent la contrée. Ils ont envoyé tous leurs fils, l’un après l’autre, se faire tuer sur les champs de bataille du sud : on voit souvent dans une fonction publique un homme dont les enfans servent avec son consentement, si ce n’est par sa volonté, dans les rangs des rebelles. À moins qu’il ne soit un Romain, comme l’ancien Brutus ou le vieil Horace, je vous demande de quel côté peuvent être ses préférences. Les femmes elles-mêmes sont fanatiques. Elles ont joué un grand rôle dans cette guerre civile, portant de l’argent aux rebelles, espionnant à leur profit, courant le pays déguisées en hommes et le revolver à la main. On me nommait une jeune fille qui seule, avec un cheval et une voiture, colportait de Nashville à Atlanta des selles et des galons d’or pour les uniformes des officiers. Les journaux vous ont parlé d’une célèbre héroïne, la Clorinde du sud, M1Je Belle Boyd, qui, trois fois prisonnière, presque fusillée, a trois fois recommencé son aventureux métier pour con-