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bien autrement caractérisées, et les a fouillées d’un scalpel plus impitoyable. Il est vrai qu’il procédait volontiers par ironie, et son poétique émule se défend de toute intention railleuse. Il est jeune, sincère, nul frein n’enchaîne sa langue : il dira nettement ce qu’il a vu, ce qu’il sait, au lecteur ami qu’il prend familièrement sous le bras. Soit, mais qu’a-t-il vu ? Il a vu miss Skittles, — ou Skittles tout court, — conduire elle-même dans Rotten-row un attelage fringant ! Certes le scandale est grave ; mais il ne nous paraît pas avéré que, bien avant la saison de 1861, l’Angleterre n’ait vu beaucoup mieux ou pire, comme on voudra. Cette Skittles, dont les allures excentriques attiraient l’attention des plus sévères matrones, et dont elles s’entretenaient à huis clos plus que les convenances ne l’eussent permis, nous paraît, — de loin, il est vrai, — une bien pâle contre-épreuve de quelques célébrités du même ordre, Emma Lyons, qui fut lady Hamilton, ou cette mistress Elliot que ses relations avec Philippe-Égalité mêlèrent aux premiers événemens de 89. Elle n’en fournit pas moins au poète une façon de prosopopée.


O vous, s’écrie-t-il, chères demoiselles, à peine sorties du nid rustique, ― pour grignoter, gazouiller, voleter dans le West-End, — vous dont la fraîcheur rosée, les bouderies et les grâces changeantes, — s’épanouissent comme un printemps sur la ville charmée, — vous aussi, demoiselles un peu avariées, partant moins chères, — que trois, quatre saisons perdues ont vouées à un demi-désespoir, — dont l’ardeur baisse d’heure en heure, ― ainsi que s’use la puissance attractive de l’aimant, — et vous enfin, qui n’êtes plus demoiselles ni chères, — vierges mûres d’un placement impossible, tannées et fanées, — remplaçant par de feintes délicatesses l’embonpoint qui vous a fui, — sous le fard et la piété masquant vos peccadilles, — riches ou belles, prudes ou coquettes, répondez ! — de qui nous occupons-nous le plus, de Skittles ou de vous ?


Il paraît que la question est tranchée d’avance, car les personnes interpellées se bornent à rejeter leur défaite sur les indignes artifices de l’aventurière qui les écrase de sa supériorité ; mais l’inflexible moraliste (uncompromising moralist, le mot y est) ne leur laisse pas même cette consolation. — Non, dit-il, reconnaissons à l’homme le droit de chercher partout où ils sont les dons qui l’attirent, le naturel, l’esprit, la grâce. Aucune convention sociale ne trouble son flair et ne donne le change à ses instincts. Il préférera toujours l’oiseau libre et vagabond des forêts prohibées à celui dont une mère inquiète a rogné les ailes et qu’elle retient, à l’abri de tout danger, derrière les grilles de l’enclos. Maintenant, jeunes filles disposées à tout croire, laissez-vous persuader que vos rivales triomphent uniquement par ce qui les rend infâmes. Lorsque je proteste contre cet isolement et cet esclavage qui paralysent chez vous tout essor d’âme et d’intelligence, quand j’ajoute que pour