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certitude, la noblesse constante et quelquefois la grandeur pathétique des attitudes et des gestes, — voilà de quoi racheter ce que ces ouvrages peuvent avoir de trop pittoresque, d’inconsidéré dans les moyens d’expression, d’inégal et de turbulent dans l’aspect. Si les figures isolées dont nous parlions tout à l’heure nous paraissent préférables aux compositions qu’elles avoisinent parce qu’elles sont plus strictement que celles-ci conformes aux exigences de la sculpture, parce qu’elles ont cette majesté simple et calme que le maître devait ensuite formuler avec plus de précision encore dans la belle statue de Saint Matthieu qui orne l’extérieur d’Or-San-Michèle, suit-il de là que le reste n’ait qu’un mérite médiocre, ou que la renommée universelle acquise à l’ensemble du travail soit le résultat d’un préjugé ? On serait mal venu à le prétendre devant les preuves d’un pareil talent : on semblerait plus malavisé, plus téméraire encore, en face d’une opinion qui, a pour elle la garantie de Michel-Ange et le souvenir de ce qu’il a dit.

Il ne faut pas s’exagérer pourtant l’autorité de ces jugemens prononcés par quelques grands artistes dans des momens où ils ne se doutaient guère qu’ils parlaient à la postérité et qu’un propos tombé de leurs lèvres, au hasard de la conversation ou pour se venger, séance tenante, d’un contradicteur, demeurerait enregistré dans les livres comme une décision sans appel. La plupart d’entre eux probablement s’y seraient pris à deux fois avant de rendre leurs arrêts, s’ils avaient soupçonné qu’on en garderait si bien la mémoire. Poussin par exemple n’obéissait-il pas à un mouvement de généreuse indignation contre les outrages dont on avait abreuvé le pauvre Dominiquin plutôt qu’à un sentiment d’admiration absolue pour son œuvre le jour où il saluait dans la Communion de saint Jérôme « un des trois plus beaux tableaux de Rome ? » Raphaël ne tenait-il pas surtout à se montrer courtois envers Francia lorsqu’il lui écrivait au sujet des madonne peintes par l’artiste bolonais : « Je n’en connais pas de plus belles ni de plus dévotement faites ? » A vrai dire, il en connaissait « de plus belles, » à commencer par les siennes ; mais ce n’était pas le cas d’en parler. Et cependant, emportement de sympathie chez l’un, réserve et urbanité chez l’autre, on a pris le tout à la lettre. La tradition s’est emparée des paroles de Poussin pour en faire le gage inaliénable d’une gloire que le Possédé de Grotta-Ferrata et les fresques de Saint-Louis-des-Français justifieraient d’ailleurs beaucoup mieux que le Saint Jérôme. Et quant au billet de Raphaël, il est devenu, pour un maître à peine de second ordre, une sorte de laisser-passer ou de brevet en vertu duquel on l’a, sans plus d’examen, classé au premier rang. Le mot de Michel-Ange à propos des portes du Baptistère pourrait bien à son tour avoir amené quelque méprise tant sur les