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populaires comme les symboles ou les faces diverses d’une seule et même divinité. C’est pour cela qu’il visite tous les temples sans distinction et s’efforce de purifier les cultes qu’on y professe de tout ce que la superstition vulgaire y mêle d’élémens licencieux. Vénus elle-même doit devenir la déesse de l’amour pur, exempt de toute passion charnelle. Le sens moral devient ainsi le moyen de discerner la vérité religieuse et doit rectifier souverainement les traditions les plus accréditées. Ainsi Apollonius portera souvent une critique très hardie sur les croyances et la mythologie traditionnelles. Comme Platon, il en veut aux poètes d’avoir rabaissé le caractère des dieux par leurs descriptions fabuleuses. Il trouve absurde qu’un tyran cruel tel que Minos exerce la justice aux enfers, tandis qu’un bon roi comme Tantale est condamné à un affreux supplice. Il se moque des fables racontant la guerre des géans contre les dieux, ou bien, affirmant que Vulcain frappe sur une enclume réelle au fond de l’Etna. On ne doit, selon lui, représenter les dieux que sous la forme humaine la plus idéale, et encore les chefs-d’œuvre de l’art religieux n’ont-ils d’autre valeur que d’offrir autant de reflets du beau éternel. C’est le soleil, en définitive, qui est l’image la plus pure et la plus convenable de la Divinité, et c’est aussi au soleil, aux dieux-soleils Apollon, Esculape, Hélios, Hercule, qu’Apollonius adresse de préférence ses hommages. Son nom à lui-même indique déjà cette dévotion particulière au soleil. C’est aussi le soleil que les plus sages des hommes, les brahmanes, qui vivent en réalité de sa substance, adorent toute la journée. L’essence des dieux, c’est la lumière éthérée. On devient dieu en y participant, et cela est d’autant plus naturel à l’homme que son âme est un rayon d’essence divine emprisonné dans un corps et traversant une série d’existences jusqu’au moment où elle sera assez exercée par la science et la vertu pour pénétrer dans le monde divin. De là la légitimité, l’utilité supérieure de l’ascétisme ou de la guerre déclarée au corps, qui est la prison corruptrice de l’âme. Apollonius et les siens, comme du reste Pythagore et ses disciples, forment un véritable ordre de moines païens, et quand on pense qu’en dehors de tout contact avec le christianisme, le paganisme de l’extrême Orient nous offre depuis des siècles un spectacle tout semblable, on ne peut qu’admirer l’étrange persistance que plusieurs écrivains modernes ont mise à affirmer que la vie monastique est une des institutions les plus spéciales et les plus caractéristiques du christianisme. Dans la doctrine religieuse comme dans la théurgie d’Apollonius, on voit donc un effort sérieux du paganisme pour devenir une religion morale sans trop changer de formes et de croyances. Ce n’est plus la nature envisagée dans ses phénomènes terribles ou gracieux, ce n’est plus même le héros dompteur de monstres et