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l’israélite. Chez eux comme chez le héros de Philostrate, le préjugé national est plus fort encore que le principe nouveau qu’ils prêchent. On ne voit pas non plus briller dans l’évangile païen d’Apollonius cette larme compatissante, communicative, que l’évangile chrétien laisse tomber si vite sur les souffrances du petit et du pauvre. Apollonius guérit beaucoup de malades et fait beaucoup de bien, mais il le fait froidement, correctement, en artiste plus préoccupé d’éliminer les sons discords qui troublent l’harmonie de l’univers qu’attendri par les souffrances de cet être sacré, si grand et si misérable à la fois, qui s’appelle l’homme. Il sait bien se faire passer pour un fils de Dieu, mais ce n’est pas lui qui mettrait sa gloire et son bonheur à mériter le nom de fils de l’homme. D’ailleurs il ne voit dans les violations de l’ordre moral qu’une série d’actes mauvais, isolés, dépendant uniquement du libre arbitre de chaque individu, et ses yeux sont fermés, comme ceux de plus d’un philosophe moderne, devant cette incapacité foncière, dont nous souffrons tous, de faire comme il faut le bien que la conscience ordonne, ce penchant égoïste, originel au mal, qui est aux fautes particulières et successives ce que la tige est aux rameaux, aux feuilles et aux fruits d’un arbre. C’est pour cela que sa politique est si médiocre. C’est quand on reconnaît la réalité de l’égoïsme naturel du cœur humain que l’on cherche dans le contrôle, dans la représentation collective, dans la publicité, dans la responsabilité effective des gouvernans, en un mot dans les institutions de la liberté une garantie contre les entraînemens toujours possibles de l’autocratie. Apollonius croit à la possibilité d’un despotisme bienfaisant et ne conçoit pas même une meilleure forme de gouvernement. Si le despote est méchant, il faut le renverser violemment, et lui-même ne refuse pas de tremper dans deux conspirations. L’empire romain durait pourtant depuis assez longtemps, et un penseur religieux aurait pu savoir que la nature humaine est trop faible pour qu’on érige le bon caractère des souverains en institution permanente.

Malgré tout, il n’est pas moins vrai qu’un souffle moral authentique, une sérieuse préoccupation de la vertu considérée comme la seule base du bonheur et de la vraie piété anime tout cet ensemble d’enseignemens. C’est là une plante qu’on est fort étonné de voir ainsi s’épanouir en pleine terre païenne. N’oublions pas qu’Apollonius n’est pas seulement un philosophe, un moraliste à la façon d’Épictète ou de Zénon : c’est un réformateur populaire, un initiateur, une sorte de hiérophante universel, et l’idée essentielle de sa biographie, c’est qu’un sage aussi parfaitement saint a droit aux honneurs divins, et qu’il est au fond un dieu sous forme humaine. Mais maintenant, si nous nous demandons jusqu’à quel point, les