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celui de tous les autres dieux dans les invocations publiques. Il le proclama supérieur à Jupiter. Il voulut lui faire épouser la Pallas romaine, et profana même le sanctuaire très révéré de la déesse en y pénétrant avec ses hiérodules pour enlever sa statue, dont il voulait faire honneur à son idole ; puis, craignant qu’elle ne fût trop guerrière à son gré, il se souvint qu’il y avait à Carthage une Astarté d’origine authentiquement phénicienne et l’envoya chercher. Toute l’Italie dut se mettre en fête pour célébrer ces belles noces. Lui-même, scandale inouï ! épousa à cette occasion une vestale, et notifia son dessein au sénat en lui expliquant qu’un prêtre pouvait bien épouser une prêtresse. Il fit venir des Phéniciennes, et dansa publiquement avec elles devant le caillou sacré qu’il offrait aux hommages de l’univers. Le malheur est que les symboles de ce culte étaient souvent d’une impudicité révoltante, et peut-être faudrait-il attribuer à des méprises provenant de l’ignorance où l’on était du caractère symbolique de plus d’un acte du rituel d’Héliogabale les incroyables détails que les historiens nous donnent sur ses mœurs privées. Notons aussi que sa mère Soémis et son aïeule Mœsa s’associaient à ce culte. Toutefois Hérodien affirme que Mœsa eût voulu modérer cette fièvre de bigotisme solaire, comprenant qu’elle rendrait bientôt le jeune fou ridicule et impossible sur le trône, et, comme on ne nous dit rien de Soémis, il est à présumer que celle-ci partageait et peut-être même avait dès l’origine inoculé à son fils cet engouement fanatique pour le dieu de ses pères. Ce qui tend à confirmer cette supposition, c’est qu’elle devint aussi impopulaire que son fils et fut tuée en même temps que lui. Toutefois n’insistons pas plus qu’il ne convient sur cette caricature d’une conception religieuse qui avait sa grandeur. Héliogabale dénatura par son fanatisme l’idée-mère qui fait le fond de la biographie d’Apollonius par Philostrate. Cette idée, c’est que le paganisme gréco-romain a besoin d’une réforme, que, sans rompre en principe avec lui, on doit corriger ses légendes, qu’il faut le rapprocher d’une sorte de monothéisme dans lequel le soleil remplira le rôle principal et sera adoré comme lumière physique et aussi comme lumière morale, ce qui d’ailleurs aura l’avantage de confondre dans une même adoration les plus belles et les plus populaires divinités de l’ancien paganisme, Apollon, Esculape, Esmoun, Melkart, Mithras, Hercule et bien d’autres héros de nature solaire. L’invocation soli invicto deviendra ainsi la prière universelle.

Adorer un même Dieu sous différens noms et faire prédominer la vertu parmi les élémens de la vie religieuse, voilà donc le fond de cette théologie, dont la tendance tolérante ressort d’elle-même, et qui pouvait très bien considérer le christianisme comme une approximation très imparfaite encore, mais enfin supportable, de