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Gustave et dans le malheur des temps. Esprit ouvert, de vive conception et parfois de grandes ressources, mais inconstant, inégal, incomplet, d’humeur bienveillante et aimable, mais accessible à de petites passions et peu maître de lui, Gustave semblait être précisément de ces princes voués à s’offrir d’eux-mêmes pour être les jouets d’un temps fatal et perfide. Non-seulement la longue anarchie qui avait précédé son règne accumulait autour de lui les difficultés du gouvernement intérieur, non-seulement des haines nationales et des ressentimens héréditaires s’imposaient à sa politique envers plusieurs peuples voisins ; mais l’oubli des sévères maximes de morale politique ou privée, le relâchement dont le dernier tiers du XVIIIe siècle continuait d’offrir le scandaleux exemple avait semé autour de lui, jusque dans sa vie intime, des germes de douloureuse infortune.

On se rappelle par quels complots le roi de Prusse avait voulu naguère préparer à la Suède le même sort qu’à la Pologne ; à peine sorti de cette embûche par un coup de fermeté, Gustave retrouva dans ses rapports de famille de pareilles intrigues. Il avait en effet pour mère la sœur de ce redoutable Frédéric II, l’impérieuse Louise-Ulrique : elle n’éloigna pas de son fils enfant la malfaisante influence des haines civiles et nationales. La France avait obtenu dès 1750, d’accord avec le parti des chapeaux, que le jeune prince, âgé de quatre ans, fût fiancé avec la princesse de Danemark Sophie-Madeleine[1]. C’était un coup dirigé contre la reine Louise-Ulrique et son frère le roi de Prusse, qui avaient destiné à Gustave une princesse de la maison de Brandebourg. Louise-Ulrique en montra un si profond ressentiment, Gustave lui-même fut élevé dans un tel mépris de tout ce qui venait de Danemark, que les hommes dont ce plan d’alliance était l’œuvre, y voyant désormais une source de malheurs, voulurent qu’on revînt sur un pareil engagement. La cour danoise n’y voulut jamais consentir, et le mariage eut lieu en 1766. La princesse royale fut mal accueillie ; son extrême timidité se retrancha d’autant plus dans une réserve silencieuse qui avait les apparences d’une froideur invincible, et Gustave, entre une mère acariâtre et une épouse qu’il ne savait pas amener à lui par une affectueuse confiance, souffrit d’un cruel isolement. La séparation ne cessa qu’en 1775, par l’entremise de quelques personnes de l’entourage intime du roi et de la reine, surtout d’un favori de Gustave nommé Munck, lorsque après neuf ans de mariage stérile la raison d’état, qui demandait un héritier direct, fut entendue. L’opinion s’en réjouit, car le roi était encore populaire,

  1. Fille de Frédéric V, roi de Danemark, elle n’avait que cinq mois de moins que le prince royal de Suède.