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révoltes à ce sujet. La bourgeoisie se plaignait d’un assez grand nombre de mesures contraires à la constitution de 1772 et à la liberté : elle accusait notamment les restrictions apportées aux lois qui, dans les premières années du règne, avaient proclamé le libre usage de la presse. Le clergé s’élevait sans raison contre les édits sur la tolérance, mais à bon droit contre l’intrusion constante du pouvoir dans ses élections et contre la simonie pratiquée par le gouvernement lui-même. Les ressentimens de la noblesse étaient surtout à redouter. On se rappelle que l’aristocratie suédoise, ruinée jadis par Charles XI, s’était avilie, pendant la longue période des querelles entre les chapeaux et les bonnets, par une vénalité honteuse. Si elle avait tort de regretter une domination égoïste qui avait failli entraîner le pays dans un complet désastre, ses plus anciennes familles repoussaient, par un sentiment de fierté, les offres de Gustave III, alors qu’il les voulait réduire à la condition d’une noblesse de cour, et ce reste de dignité contribuait encore à les éloigner du roi. Gustave ne tarda point d’ailleurs à supprimer quelques-uns des droits peu nombreux qui restaient à l’aristocratie. Un grand nombre de ces nobles faisaient partie de l’armée, et c’était un usage fort ancien de les appeler aussi bien que les autres pour assister aux diètes. Gustave les priva de cet avantage ; bien plus, il leur interdit de revendre leurs commissions d’officiers, qu’ils avaient jadis achetées fort cher. Ne les indemnisant pas, il achevait de les ruiner. La noblesse, de plus en plus irritée, attendait avec impatience l’époque de chaque diète pour réunir toute la nation dans une ligue redoutable contre le roi. La session de 1778 et surtout celle de 1786 montrèrent les progrès de cette lutte. Une seule des propositions présentées par le gouvernement à cette dernière assemblée fut adoptée, et seulement en partie. Le roi lui-même se vengeait en refusant d’accueillir les vœux des états. Une liste de griefs lui fut présentée, la veille de la dissolution, par chacun des quatre ordres ; mais il y répondit en manifestant dans son discours de clôture l’espoir que l’état des affaires lui permettrait pendant un long temps de ne pas recourir à une nouvelle convocation de la diète. Gustave était profondément ulcéré, et la pente sur laquelle il s’engageait devait le conduire à des abîmes. Le sage Vergennes, qui connaissait bien ce prince et les Suédois, ne s’y trompait pas, et il écrivait de Versailles, en novembre 1786, au chevalier de Gaussen, notre chargé d’affaires :


« Il serait fort fâcheux que le roi de Suède conservât un trop long souvenir des désagrémens qu’il a éprouvés pendant la dernière diète : on ne gouverne pas bien ceux qu’on n’aime plus. Si Gustave III prenait du dégoût des affaires, on perdrait bientôt le fruit des bons établissemens qu’il a faits. Tous ceux qui prennent un véritable intérêt à la prospérité de ce