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effet d’être décrétée, et peut-être y avait-il ce soir-là dans les salons du ministre de France quelques chefs de guérillas travestis en galans cavaliers, dont les têtes, souriantes en cette nuit de fête, devaient plus tard grimacer au bout d’une branche.

Depuis le mois de février 1863 jusqu’au mois de mars 1865, le colonel Du Pin est resté à la tête de la contre-guérilla. Chacun a pu le voir au Mexique coiffé d’un vaste sombrero, vêtu d’une pelisse de colonel rouge ou noire, chaussé de bottes jaunes à l’écuyère avec éperons du pays, portant huit ou neuf décorations sur la poitrine, un revolver au côté, un sabre éprouvé pendu à sa selle. Il fallait un homme de forte trempe, un officier infatigable, pour mener à bien l’organisation de la contre-guérilla. Les divers éléments appelés à composer le nouveau corps de partisans étaient épars sur plusieurs points. Les Mexicains Murcia, Llorente et Figarero, transfuges ralliés à la cause française, opéraient pour leur compte avec de petites bandes dans les environs de la Soledad. Quant au corps principal des contre-guérillas dites mexicaines, il était stationné à Medellin, à quelques lieues de Vera-Cruz. M. de Stœklinen avait été le chef jusqu’alors. M. de Stœklin, Suisse d’origine, avait, au début de l’expédition de 1862, organisé spontanément une petite troupe restée indépendante, quoiqu’attachée à la cause française, et composée d’aventuriers de toutes les nations. Doué d’un grand courage personnel, il entraînait facilement ses hommes dans les bois de Vera-Cruz, et ses premières incursions furent heureuses ; mais, lorsque sa troupe vint à grossir, ses qualités militaires ne furent plus à la hauteur du commandement qui lui était confié. Quelques opérations importantes, où il déploya le plus brillant courage, restèrent sans succès et compromirent son autorité. Son mépris pour les ordres d’officiers français dont il relevait lui porta le dernier coup. La démission qu’il offrit fut acceptée ; mais il reçut en même temps la croix de la Légion-d’honneur. Un an plus tard, dans une charge où il fut abandonné des Mexicains qu’il menait au feu, M. de Stœklin tomba criblé de blessures et mourut en brave.

Le 20 février, le colonel Du Pin arrivait à Medellin pour prendre possession de son nouveau commandement. Ce fut un curieux spectacle que la revue de cette cavalerie et de cette infanterie sans uniformes. La troupe sous les armes, fièrement déguenillée, attendait rangée dans un coral[1]. Toutes les nations du monde semblaient s’être là donné rendez-vous : Français, Grecs, Espagnols, Mexicains, Américains du nord et du sud, Anglais,

  1. Enceinte palissée pour les animaux.