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de l’Évangile. On parle souvent des grandeurs de l’église d’Orient ; mais, outre qu’elles ont été périssables, et que depuis huit siècles la foi chrétienne a perdu dans ces contrées la domination que six croisades n’ont pu lui rendre, on entend ordinairement par l’Orient chrétien l’Asie-Mineure, qu’avait envahie la civilisation gréco-latine, la Syrie, où la même influence se partageait les esprits avec le néo-judaïsme modifié par l’Évangile, l’Égypte enfin et la côte d’Afrique, où l’hellénisme avait pénétré par la langue et la littérature, où pesait de tout son poids la toute-puissance romaine. Dans aucune de ces contrées, le génie de l’Asie ne dominait pur et sans mélange. Rien dans le Nouveau Testament ne donne une fort grande idée des conquêtes que les apôtres purent accomplir à l’est et au sud de Jérusalem, comparées à celles qui étaient réservées au génie cosmopolite de saint Paul. C’est lui véritablement qui a converti le monde en gagnant les deux maîtresses du monde, Rome et la Grèce. Ses périls et son isolement lors de son dernier séjour à Jérusalem nous montrent, vingt ou vingt-cinq ans après Jésus-Christ, les chrétiens de cette ville comme une minorité faible et tremblante qui feignait le judaïsme pour se sauver. On parle beaucoup dans les premiers siècles des églises de Corinthe, d’Édesse, d’Antioche, de Nicée, d’Éphèse, de Carthage, d’Alexandrie ; mais, en admettant même les excursions de propagande un peu légendaire des Pantène et des Barthélémy, on cite au-delà de l’Euphrate peu de sièges épiscopaux qui aient brillé d’un éclat vif et durable. Les prédicateurs de la foi ont assez rarement obtenu en Perse une situation beaucoup meilleure que celle de nos missionnaires en Chine ou au Japon, et quant à ces contrées bordées par le désert, quant à la péninsule arabique, les succès de la propagande apostolique n’y furent ni généraux ni permanens : on y apprit que le christianisme existait, et l’on n’en sut pas beaucoup plus. Ainsi, même après Jésus-Christ, le règne de l’idolâtrie se serait perpétué dans la majeure partie des populations sémitiques, si quelque chose comme une révélation nouvelle n’y eût mis un terme. Heureusement la tradition d’Abraham s’était conservée ailleurs que dans la division juive de cette antique race. Ce que cette tradition renferme d’essentiel et de certain, une critique plus hardie que la nôtre pourra le déterminer. Il y a chez les hommes, et surtout dans les sociétés peu avancées, une disposition qu’on pourrait appeler la tendance à l’incarnation. Elle particularise ce qui est général, met sous le nom d’un individu les forces collectives, et personnifie les époques et les idées. C’est elle qui pousse à l’idolâtrie et au polythéisme, c’est elle encore qui seconde toutes les usurpations et tous les despotismes. Les hommes supérieurs en ont souvent abusé pour exploiter l’humanité. Quelle