Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’étend entre cette ville et l’hacienda de Mandigue n’est alors qu’un vaste étang boueux. En présence des difficultés d’une occupation permanente et du défaut de communications, cette place forte eût dû, pour la sûreté des terres chaudes, être impitoyablement rasée. Cette mesure rigoureuse était d’autant plus nécessaire que Tlaliscoya touche presque à Passo-Santa-Anna, le seul point guéable sur le Rio-Blanco de la mer à Omealca. La proximité de ce seul gué établit des relations constantes avec Tlacotalpan, le Miadero, le Conejo et toute la côte du sud jusqu’à Minatitlan, localités très hostiles, et auxquelles Tlaliscoya assurait un ravitaillement et un excellent centre de défense. La mort récente du brave officier supérieur Maréchal, commandant supérieur de Vera-Cruz, qui succomba glorieusement, le 2 mars 1865, dans une embuscade près de Medellin, n’a fait que trop bien comprendre ce qu’a de favorable au banditisme des terres chaudes cette position de Tlaliscoya. Le colonel Du Pin, qui avait résolu la destruction de cette place, céda aux prières du commandant Murcia, qui répondit de la fidélité de Tlaliscoya. La ville fut sauvée, mais elle paya bientôt sa dette de gratitude par la trahison.

La nuit du 21 au 22 mars 1863 offrait à Tlaliscoya un aspect presque féerique. Les rues, l’église et les maisons étaient illuminées au bruit des boîtes d’artifice tirées en l’honneur de l’intervention et des Français. Non moins galans pour leurs ennemis, les Français illuminaient aussi. Les flammes pétillantes des cases de bambou incendiées s’élançaient en gerbes de toutes couleurs à traversées branches des vieux géans de la forêt. L’horizon était gros de nuages, et parfois la rafale se mêlait à la fête et promenait la flamme, comme une torche, sur les lauriers-roses et les mimosas aux parfums enivrans. Les sentinelles, abritées derrière les troncs d’arbres, pouvaient entendre le bruissement des serpens à sonnettes se glissant dans les hautes fougères. Peu à peu les débris fumans ne jetèrent plus qu’une lueur incertaine. Les buissons et les sentiers s’étaient emplis de bruits confus et étranges annonçant l’approche du danger. Quelques éclaireurs partirent à la découverte et revinrent presque aussitôt. Nous apprîmes par eux que l’ennemi, encore invisible, avançait, se multipliant de minute en minute, et prenait ses positions pour envelopper la ville au point du jour.

La situation était critique : allait-on se lancer à travers des broussailles inconnues sur des forces supérieures ? L’offensive est souvent heureuse ; puis le devoir était de courir à l’hacienda de Mandigue pour sauver les quatorze retardataires qui s’y étaient renfermés et dont on allait être coupé. Valait-il mieux traverser la rivière en face d’un ennemi nombreux et sur des coquilles de noix, malgré