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séparer de sa conquête. Vers huit heures du matin, on entrait à San-Juan-de-Istancia, belle hacienda bâtie en granit rouge et qui appartenait au général Zenobio, l’un de nos plus ardens ennemis. Cent cinquante guérilleros y étaient cantonnés la veille, mais ils avaient pris la route de la montagne à la vue des flammes qui dévoraient la Cañada. San-Juan subit le même sort ; les murs calcinés restèrent debout pour raconter un jour l’histoire des terres chaudes. L’église seule fut épargnée. Les vases sacrés et les ornemens venaient d’être enlevés par les fuyards, qui, en se retirant, avaient mis le feu a des monceaux de maïs. On rentrait à huit heures du soir au camp du chemin de fer, et la lecture du courrier d’Europe arrivé le matin fît oublier la fatigue.

Cette petite sortie eut l’avantage de refouler au loin les bandits, qui, privés de leurs abris d’hivernage et de leurs magasins de vivres, furent obligés de se retirer à six lieues plus loin. Depuis cette époque du reste jusqu’à l’attaque du train de chemin de fer où succomba le brave commandant Ligier, ils ne tentèrent plus d’incursion sérieuse entre la Soledad et Vera-Cruz. Quelques jours après, on détruisit le Rancho-Espinal, grande ferme située sur la gauche de la route de la mer à la Soledad, et qui de son côté jouait le même rôle que la Cañada.

Jusqu’à la fin du mois d’avril, les courses nombreuses opérées dans les environs de la ligne ferrée prouvèrent que l’ennemi s’était lassé ; mais ce long séjour de la Loma avait été ruineux pour la cavalerie. Chaque jour, les chevaux faisaient cinq lieues pour aller à l’abreuvoir, et le maïs, complètement avarié par les charançons, eût été une maigre pitance, si à chaque sortie les cavaliers, armés de faucilles, n’avaient ramassé des provisions de vert et de roseaux. Le 1er mai, l’administration du chemin de fer se transporta, pour les besoins de l’exploitation, à la Pulga, camp occupé encore le printemps dernier par cette héroïque troupe d’égyptiens qui, par sa tenue et sa discipline, honore son pays[1]. Le 1er mai, la contre-guérilla allait s’établir à la Soledad.

  1. Depuis 1863, date de leur arrivée au Mexique à titre d’auxiliaires, ces braves enfans du désert africain ont eu le cœur aussi vaillant devant le feu que devant les fièvres, et les services qu’ils renflent dans les postes les plus malsains des terres chaudes ont droit à la gratitude du Mexique et de la France. Leur costume tout blanc, d’une exquise propreté, est bien connu dans l’état de Vera-Cruz, et inspire une grande terreur aux bandes mexicaines.