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convenablement massé. Les lourds chariots soulevaient des nuages de poussière. Les arrieros, armés de leurs longs fouets, montés sur le limonier de gauche, tout en causant avec leurs femmes assises nonchalamment sur le timon, la cigarette aux lèvres ou la face voilée comme les Mauresques, conduisaient leurs douze mules à grandes guides, et parfois, les lançant au trot, les dirigeaient dans les ornières avec autant d’élégance que de sûreté. Sur le flanc de la colonne, les majordomes aux vestes de cuir brodées d’argent et aux riches sombreros passaient au galop, excitant les retardataires de leurs cris aigus : macho ! (mulet), mille fois répétés. On s’attendait à une chaude attaque, et le voyage cependant s’acheva sans encombre. A six heures du soir, les feux de bivouac s’allumaient à Paso-Ancho[1] ; l’ennemi n’avait pas donné signe de vie. Le 10 mai, le Chiquihuite était heureusement atteint, et après un jour de repos la contre-guérilla rentrait à la Soledad, où presque aussitôt ses rangs se grossirent d’une centaine de nouveaux engagés volontaires.

Les libérés français de tous les régimens faisant partie de l’expédition du Mexique, renvoyés dans leurs foyers, avaient gagné Vera-Cruz. Ils étaient impatiens de se rembarquer pour l’Europe ; mais la date du départ des navires de l’état, attendus en rade ou retenus par les exigences du service, n’était pas certaine. Les congédiés, lassés par l’oisiveté, attirés par la solde élevée de 30 piastres (150 francs) accordée par mois à la troupe du colonel Du Pin en terres chaudes, signèrent des engagemens d’un an. Ce fut là le premier élément de discipline militaire dont s’enrichit la contre-guérilla, et qui lui promit pour l’avenir de véritables recrues. En effet, depuis cette époque, l’exemple fut suivi par bon nombre des libérés descendant des plateaux, et le recrutement fut désormais assuré.

Jusqu’à cette époque, les troupes de la contre-guérilla avaient manqué d’uniformes. Comme dans les armées de la première république française, chaque soldat prenait le vêtement qu’il pouvait se procurer selon ses moyens, quand il n’avait pas recours à la razzia. Sous tous les rapports, cette irrégularité était préjudiciable à la discipline du corps, à son bon ordre sous la tente et à son amour-propre au feu, car dans l’armée le costume a une immense influence et joue un grand rôle, grâce à la responsabilité du numéro de l’arme et à l’émulation. Cet état de choses cessa heureusement. De nombreuses caisses d’habillemens et de chaussures arrivant des ateliers de France furent débarquées à la Soledad ; Dès lors la tenue

  1. Gite d’étape sur la route de Puebla.