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tombait, au milieu des bois de la Pulga, dans une affreuse embuscade. La locomotive était renversée sur les rails ; les voitures s’entassaient les unes sur les autres. Du haut des deux berges de la voie ferrée, les guérillas mexicaines faisaient un feu plongeant sur les wagons et les voyageurs. La cavalerie ennemie débouchait des deux côtés de la voie. Le chef de bataillon Ligier, commandant supérieur de la Soledad, fut tué. Égyptiens et Français résistèrent héroïquement : mais il resta sur place beaucoup de blessés et de cadavres. Les blessés recueillis le soir racontaient que partout éclatait ce cri de vengeance lorsque les guérillas fouillaient les corps : donde es este misérable Du Pin ? (où donc est ce misérable Du Pin ?). La veuve de Molina n’avait rien épargné, on le voit, pour réaliser ses menaces. Cette attaque, dit-on, lui coûta une somme considérable.

Les ressources étaient rares à Camaron. L’administration militaire n’avait pu encore y installer les magasins où la contre-guérilla devait prendre des denrées contre remboursement. Chaque jour, nos hommes, obligés de se suffire, montaient à cheval, et tout en donnant la chasse aux bandits, chassaient les taureaux sauvages. Quand la course devenait trop périlleuse, à la vue des guérillas toujours en éveil, on jetait par terre les animaux essoufflés qu’on dépeçait dans la broussaille, et chaque cavalier rapportait un quartier de viande saignante attaché sur le devant de sa selle.

Telles étaient les fatigues et les émotions de la contre-guérilla française dans les premiers jours de l’automne de 1864 au bivouac de Camaron, quand on apprit que le général Bazaine venait d’être promu au commandement en chef de l’armée du Mexique. C’était pour la contre-guérilla une nouvelle ère qui allait commencer.


Cte E. DE KÉRATRY.