Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

musulmans, quoiqu’il semble admettre trop aisément qu’une foi ardente soit compatible avec une rigoureuse justice et une parfaite véracité, nous consentons, sur son témoignage, à voir dans Mahomet non-seulement un de ces hommes faits pour figurer parmi les maîtres du monde, mais encore un de ceux qui ont pu mériter de l’être, parce qu’ils ont été bons. Cette louange lui pourrait être donnée sans restriction, s’il n’eût été que prophète. Sa vie privée jusqu’à l’âge d’un peu plus de quarante ans paraît irréprochable. Sa mission religieuse commence aussitôt, et elle ne nous le montre que sous de nobles dehors ; mais le guerrier et l’homme d’état ne tardent point à paraître. La guerre a ses nécessités, la politique a ses licences, et plus d’une fois ses ennemis ont été frappés avec une rigueur qui ferait douter de sa justice et de son humanité, si d’autres actes, où brillent une tolérance équitable et une clémence généreuse, ne rendaient témoignage d’une véritable magnanimité. Dans l’ancien monde et souvent encore dans le nouveau, le pouvoir s’est attribué des droits dont l’exercice se concilie peu avec la perfection morale. Si la guerre et la politique ont complété la grandeur historique de Mahomet, elles ont un peu dérangé sa sainteté. L’une et l’autre ont sans doute contribué à entraîner sa maturité, sa vieillesse même, aux faiblesses dont son jeune âge s’était préservé. On ne peut reprocher bien sévèrement à un homme de l’Asie ses idées sur la polygamie et sur les femmes ; mais l’habitude de la domination aura pu seule persuader à Mahomet que l’abus des facilités qu’offraient les lois et les mœurs de sa patrie fût au rang des prérogatives de sa supériorité et de sa mission. Et si, comme le pense M. Saint-Hilaire, la politique est entrée pour quelque chose dans plusieurs de ses treize mariages, c’est une raison de plus de regretter pour sa vertu qu’il ait exercé une autre autorité que celle de la religion. Ce qu’il y a de choquant dans le Coran, ce qui en dépare la noble rédaction, ce sont à mes yeux les deux ou trois versets où la parole même de Dieu accorde à son prophète des libertés nuptiales interdites aux simples fidèles. Que la raison d’état ou une aveugle passion ait dicté ces tristes exceptions, j’y vois l’insolence d’un maître qui sanctifie ses caprices. La toute-puissance conduit là.

Peut-être quelques faits particuliers donneront-ils une plus juste idée de la mesure de louange que mérite le caractère moral de Mahomet. Parmi ses ennemis, on citait Abou-Sofyân, coraychite influent et instruit, un des premiers qui aient su écrire. Il croyait en un seul Dieu et ne croyait pas en son prophète. Il lui avait fait la guerre avec succès. Un des vainqueurs de la journée d’Ohod, il avait souvent dérobé ses caravanes aux attaques des musulmans. Mahomet ne savait ni comment le réduire ni comment le gagner, lorsqu’une