Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/859

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans toutes les facultés, même dans toutes les classes et dans tous les métiers[1]. »

Il y eut ainsi, vers 1758 ou 1760, une révolution pacifique en Allemagne ; la philosophie se sécularisa. Elle avait été pendant une assez longue période confisquée par les professeurs : elle sortit des écoles et se répandit dans le monde. Le mouvement se communiqua dès lors à la théologie, l’ébranla dans ses bases consacrées, et l’on vit commencer en Allemagne ce grand travail d’interprétation et d’exégèse qui devait aboutir à la pure et simple religion naturelle, plus ou moins surchargée de symbolisme, plus ou moins enthousiaste et mystique, selon les gradations infinies des caractères et des sentimens. Goethe lui-même participa dans sa mesure à ce mouvement théologique, et il nous raconte dans ses mémoires comment la lecture d’un livre aujourd’hui oublié, — Histoire de l’Église et des Hérésies, par Arnold, — l’amenait à concevoir, par une suite de méditations bizarrement ingénieuses, tout un système de métaphysique religieuse. Il nous en a laissé une esquisse, non sans montrer quelque prédilection pour cette rêverie de sa première jeunesse. Le néo-platonisme, les doctrines hermétiques et cabalistiques s’y mêlent avec quelques idées bibliques. Le trait essentiel est une explication panthéistique de la création et de la rédemption par une séparation qui se produit dans l’essence primitivement simple de la Divinité et par un mouvement contraire qui ramène le monde à son origine. C’est la double loi de « l’émanation » et du « retour » empruntée aux Alexandrins et transportée sans grands frais d’imagination dans le dogme chrétien. Ce projet de religion composite n’a d’importance que par le caractère de curiosité éclectique qui s’y annonce et par la conception fondamentale de l’unité absolue qui s’y marque avec force.

Les premiers pas de Goethe dans la libre recherche de la vérité furent très incertains ; sa voie s’embrouilla plus d’une fois et s’obscurcit devant lui. Dans l’intervalle qui sépare son séjour à Leipzig de celui qu’il fit à Strasbourg, pendant toute la durée d’une maladie assez longue qui le retint dans la maison de son père, fort attristée par l’humeur morose et la manie pédagogique du vieux jurisconsulte, nous le voyons livré tout entier à des études et à des expériences d’alchimie avec cette curiosité vive qui n’est pas la crédulité vulgaire, qui est bien plutôt la forme active d’un grand ennui, l’impatience de l’inconnu, le désir de ne rien ignorer, plus fort chez lui que la crainte d’être dupe. Il y avait alors à Francfort toute une petite société mystique de personnes pieuses qui cherchaient leur

  1. Vérité et Poésie, — traduction Porchat, p. 236. Nous suivrons généralement cette traduction, en la modifiant parfois dans quelques expressions ou quelques tours restés obscurs.