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éclate, nos ennemis tremblent ! — L’Union, la constitution et Little-Mac ! — Il y en avait aussi de plus sérieuses : Lincoln a ruiné le pays en quatre ans. — Nous voulons nos droits, — nous demandons notre liberté, — qu’on nous rende l’habeas corpus ! — Le seul spectacle de cette mascarade sérieuse valait tous les discours ; du reste elle n’avait rien de séditieux ni d’inusité. Telle est la décoration ordinaire, tel est le cérémonial obligé de tous les meetings américains.

Cependant la multitude s’était tassée ; on était monté sur les balcons, sur les toits, on se pressait aux fenêtres. Je m’étais glissé jusqu’au pied du stand, au plus dense de la cohue, et je sentais autour de moi des pistolets dans toutes les poches. Les feux de joie et les fusées flambaient de plus belle, avec une lueur rouge d’incendie. Parfois des chut ! passaient dans la foule murmurante et agitée. Un orateur se leva, un vieillard au front chauve, aux cheveux blancs, simplement vêtu : c’était le président du meeting, James Guthrie, ancien sénateur des États-Unis, ancien ministre des finances dans le cabinet de M. Buchanan. D’une voix faible, cassée, mais non sans énergie, il prononça, au milieu des détonations et des hurrahs d’une foule qui ne pouvait l’entendre, un discours modéré dans le fond, sinon toujours dans les mots, parlant beaucoup des libertés atteintes, repoussant bien loin toute pensée d’infidélité à l’Union, et donnant à penser.

Divers speakers se levèrent après lui. J’en remarquai deux. Le premier, Judge Bullock, un grand homme mince, brun, de bonne tournure, sobre de gestes et distingué dans son langage, m’inspira tout d’abord quelque sympathie. Je vis bien cependant, dès ses premières paroles, que j’avais affaire à un dévot de l’esclavage, à un partisan à peine déguisé des rebelles. « Je veux, disait-il, défendre les droits du nord, — et ceux du sud aussi. » Mais l’orateur était si contenu, si lettré, en un mot si Européen, il faisait un contraste si frappant avec la déclamation commune des meetings populaires, que je m’abandonnai sans mauvaise volonté à son éloquence. Quand il par la de la décadence du peuple américain, des prédictions trop bien accomplies des grands écrivains qui étaient venus d’Europe admirer une nation libre et qui s’en étaient retournés annonçant au monde que ces fiers républicains avaient dégénéré, — quand il adjura ses concitoyens de les faire mentir et de saisir cette occasion dernière, quoique peut-être il fût déjà trop tard, — il me semblait voir un des représentans de cette vieille race de républicains aristocrates qui conduisaient à l’origine les affaires du pays. Ses tirades ambitieuses elles-mêmes ne me déplaisaient point. Ce n’est pas en Amérique que je reprocherai à personne d’encombrer son style d’un trop gros bagage littéraire ; mais quand à la fin, dans un mou-