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un lac au fond du puits. On construisit un bateau. De tous côtés s’élevait l’infranchissable barrière. L’eau était vive et courante ; il fallait bien qu’elle eût une issue. Je m’étonne que le nouvel Empédocle n’ait pas plongé dans le gouffre et tenté l’aventure originale d’un voyage aquatique dans ce monde inexploré.

Les eaux se sont retirées dans la partie basse de la caverne ; mais on en voit partout la trace aux formes capricieuses des roches. Ici le courant s’est brisé sur une veine dure, et, tournant l’obstacle, s’est creusé une issue tortueuse dans une pierre plus tendre. Là il s’est précipité, entraînant tout sur son passage et entassant d’immenses débris ; là encore il a tourbillonné, captif dans sa prison sourde, et usé les parois circulaires de ces blanches coupoles. La pensée des cataclysmes souterrains et du mouvement mystérieux des eaux dans les entrailles du sol accompagne partout le visiteur et prête un charme fantastique à cette promenade. Il semble qu’on pénètre dans les secrets de la nature et qu’on voie revivre les scènes passées. Quelle lutte ont dû se livrer la masse robuste de la montagne et ces masses d’eau non moins puissantes qui bouillonnaient dans ses profondeurs ! On se les figure dans les fissures étroites, sur les pentes rapides, précipitées avec une vitesse vertigineuse ; on voit ces puits gigantesques débordans, pleins jusqu’à la gueule, et les eaux comprimées, comme souffrantes, soulever les rochers dans un effort suprême et se ruer dans quelque nouvel abîme. Tout ce que nous admirons dans les gorges étroites des montagnes où les fleuves roulent en écumant dans leurs crevasses déchirées a dû se passer ici avec bien plus de puissance et de terreur. Que penser de ce torrent souterrain, sorte d’Achéron tumultueux, qui entraîne au fond des abîmes les débris des forêts, des rochers et des êtres vivans ?

Comment vous dire les noms de tous les coins et recoins que j’ai visités ? Nous allions dans les ténèbres, allumant çà et là un feu de bengale qui donnait aux sombres salles l’air de palais de fées. Je vis ainsi la Chapelle gothique, longue nef écrasée où des stalactites pendantes figurent de vastes colonnades de pilastres massifs et d’ogives entrelacées, assez semblable à l’église souterraine d’une ancienne basilique. Je vis enfin la célèbre Chambre des étoiles, c’est le site le plus merveilleux de la caverne, et nous allons nous y arrêter ensemble. Vous arrivez par une large galerie, dont la voûte élevée s’enveloppe d’ombre, ancien lit de quelque grand fleuve du monde des ténèbres. Les murs s’éloignent, le ciel s’élève, et vous regardez au-dessus de vos têtes : oui, c’est bien le ciel qui brille là-haut. La terre s’est donc ouverte ? Il fait nuit : notre promenade aura duré jusqu’au soir ! Mais voyez ces deux murailles blanches et