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blance. On sent qu’on n’est pas dans la wilderness, peuplée d’hier et brutalement dévastée, mais dans un pays de culture héréditaire et d’ancienne prospérité.

Plus loin, nous débouchons dans la grande vallée de la Juniatha, un des principaux affluens de la Susquehannah, avec ses rives étagées, ses nuageux horizons, et son manteau de verdure où brillent, parmi les sapins noirs, les ormes dorés et les chênes roses, comme des broderies sur une robe de deuil. L’automne, plus hâtif que dans la plaine, répand déjà partout la magie de ses couleurs brillantes. Depuis l’écarlate éblouissant et l’orangé brillant comme une flamme jusqu’au lilas timide et au jaune de chrome pâle et doré, les arbres affectent toutes les nuances les plus fantastiques : on dirait une forêt de pierres précieuses comme dans les contes de fées, — à tout le moins un parterre de fleurs. Les chênes, les érables ressemblent à d’immenses pivoines ou à des giroflées colossales, les ormes à de grosses touffes de genêts fleuris. Certains arbres ont gardé toute la fraîcheur tendre du printemps, d’autres ont pris une teinte sombre et noirâtre ; souvent la même touffe est panachée de vert et de pourpre. Des bouquets d’un vermillon vif se détachent sur le gris-perle des bouleaux ou sur la noirceur bleuâtre des pins. L’effet de ces contrastes est brutal, éblouissant, et d’abord choque la vue. Les forêts de l’Amérique, ressemblent à son ciel : c’est partout une violence, un luxe de couleurs à confondre toutes les idées de nos paysagistes européens ; l’œil pourtant s’y habitue et finit par s’y plaire.

Mais voici la grande Susquehannah, le pont, la ville de Harrisburg. Les cultures, les villages se pressent, le pays me semble un jardin continuel. Encore quelques heures, et je traverse le Schuylkill, je passe à Philadelphie, je débarque enfin à New-York après un voyage de quarante et une heures.


New-York, 27 septembre.

Je reviens d’un grand meeting unioniste tenu à Cooper’s-Institute, dont le tumulte tient encore la ville éveillée. La lutte électorale est active à New-York. Il y a eu la semaine dernière à Union-square un prodigieux meeting démocrate, auquel assistait une immense population venue des faubourgs et des environs. Les républicains ont voulu prendre leur revanche et faire à leur tour leur charivari. Je me guide à la lueur des feux d’artifice accoutumés, et j’arrive à une grande place triangulaire, où parmi la foule mouvante s’élèvent une douzaine de stands illuminés et encombrés d’orateurs volontaires qui commencent à haranguer le peuple. De chaque