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collines : un ruisseau vient des sommets, s’y arrête, forme un petit lac limpide, puis bondit de roche en roche jusqu’à la rivière. Plus bas, un petit hameau, un moulin, quatre ou cinq maisons rustiques s’accoudent au précipice. La vue plonge sur les eaux dormantes, à travers les châtaigniers, les pins noueux et tordus qui poussent alentour ; elle se repose sur un troupeau de barques balancées par leurs voiles blanches, ou bien, suivant les ondulations de la rive, passant par-dessus les golfes bleus et les promontoires, elle s’arrête à une muraille lointaine de montagnes vaporeuses, sur une ligne argentée qui brille à leur pied.

L’hôtel où je descends est la demeure habituelle du vieux général Scott, le vainqueur du Mexique, une des seules ruines américaines auxquelles s’attache une vénération durable. A quelques pas s’élève la fameuse école militaire de West-Point. Enchanté de ce beau site, je ne songe ni à voir le vieux général, ni à visiter le collège, ni même à monter à Fort-Putnam, d’où se découvre un beau panorama de toute la contrée. Le bateau passe, et je m’en retourne à New-York, trouvant ma journée bien remplie.


4 octobre.

Il y a eu des troubles graves, une sorte d’émeute à Chicago. Depuis quelque temps, les événemens militaires ont terriblement agité le marché et fait danser le cours de l’or. Enfin la dernière baisse a fait tomber à Chicago deux banques importantes, où diverses associations avaient fait des dépôts qui se trouvent engloutis dans la faillite. L’un de ces dépôts était le fruit d’une souscription volontaire, et devait servir a racheter les citoyens pauvres du draft ou de la conscription. Or le draft avait lieu le jour même, et le peuple en fureur courut aux bureaux des banques pour en tuer les directeurs ; il a fallu le secours des troupes pour les empêcher d’être pendus. Le bien lui-même a son mauvais côté, et le peuple, qui reprochait au gouvernement l’insuccès de la guerre, va maintenant lui reprocher encore la crise inévitable qu’amènent les récentes victoires.

On craint qu’il n’en arrive autant aux banques de New-York. Le commerce est paralysé ; les négocians qui n’ont pas suspendu leurs affaires jouent un jeu très périlleux. Quand la valeur du numéraire change d’un cinquième en huit jours, à moins de spéculer sur le danger même, on aime mieux laisser dormir son argent. Le spéculateur qui joue sur des valeurs fictives, sur du coton qui n’est pas planté, sur du porc salé qui n’est pas tué encore, se meut aisément dans le désordre des fluctuations financières. Il est là dans son