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mais son esprit heureusement était moins soumis que sa volonté : la géométrie le poursuivait au milieu de ses nouvelles études. Lorsqu’un problème venait à troubler son repos, d’Alembert, impatient de toute contrainte, même volontaire, allait chercher un des volumes, qui peu à peu, et presque sans qu’il s’en fût aperçu, revinrent chez lui l’un après l’autre. Reconnaissant alors que la lutte était inutile et la maladie sans remède, il en prit joyeusement son parti ; les travaux commencés timidement et comme à regret furent continués sans scrupule et avec ardeur. Rassemblant bientôt ses forces, inutilement dispersées jusque-là, d’Alembert composa deux mémoires de mathématiques qui, à l’âge de vingt-trois ans, lui ouvrirent les portes de l’Académie des Sciences ; il ne fut plus dès lors question de médecine.

Trois ans après son entrée à l’Académie, d’Alembert publiait le célèbre Traité de Mécanique dont le principe, entièrement nouveau, devait renouveler et changer la science du mouvement. À l’aide du principe de d’Alembert, un problème de dynamique, quel qu’il soit, est mis en équation, et si la solution, qui reste enveloppée et cachée dans les formules, demande encore un grand appareil de géométrie, la difficulté devient purement algébrique et indépendante de la science des forces, dont la tâche est accomplie.

Dans le discours préliminaire qui précède le Traité de Mécanique, apparaissent pour la première fois quelques-unes des qualités par lesquelles l’esprit de d’Alembert devait bientôt se révéler d’une manière si brillante à ceux mêmes qui ne pouvaient apprécier ni comprendre ses premiers travaux. On y trouve déjà l’écrivain habile et le philosophe hardi qui ose aborder et discuter les questions les plus hautes en cherchant le principe et le degré de certitude de toute vérité acceptée. « Les questions les plus abstraites, celles que le commun des hommes regarde comme les plus inaccessibles, sont souvent, dit-il, celles qui portent avec elles une plus grande lumière. L’obscurité semble s’emparer de nos idées à mesure que nous examinons dans un objet plus de propriétés sensibles ; l’impénétrabilité ajoutée à l’idée d’étendue semble ne nous offrir qu’un mystère de plus ; la nature du mouvement est une énigme pour les philosophes ; le principe métaphysique des lois de la percussion ne leur est pas moins caché ; en un mot, plus ils approfondissent l’idée qu’ils se forment de la matière et des propriétés qui la représentent, plus cette idée s’obscurcit et paraît vouloir leur échapper, plus ils se persuadent que l’existence des objets extérieurs, appuyée sur le témoignage équivoque de nos sens, est ce que nous connaissons le moins imparfaitement en eux. »

D’Alembert aborde enfin, dans son discours, une question fort