Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/1024

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L'ESPRIT MODERNE
DANS L'HISTOIRE

Histoire d’Espagne depuis les premiers temps historiques jusqu’à la mort de Ferdinand VII, par M. Rosseew Saint-Hilaire.


I

Avant de me livrer à l’appréciation d’une composition historique considérable par les développemens comme par le sujet, il me semble à propos d’exposer quelques idées sur la manière d’écrire l’histoire et sur les divers systèmes auxquels elle a donné lieu de nos jours. Ces considérations prépareront et expliqueront le jugement que j’essaierai ensuite de porter sur le livre de M. Rosseew Saint-Hilaire.

On pourrait croire que l’état politique le plus favorable aux lettres et aux arts est celui où le pouvoir, concentré entre les mains d’un gouvernement fort et absolu, dispense en quelque sorte les citoyens, ou plutôt les sujets, du soin des affaires publiques, et les met en situation de se livrer sans trouble à ces nobles distractions de l’esprit. Cette manière de voir, qui semble justifiée par de grands exemples historiques, surtout par ceux que nous offrent le siècle d’Auguste et celui de Louis XIV, n’est pourtant qu’une erreur. Tout se tient dans le développement des facultés humaines, et ce n’est pas en énervant l’âme, en la mutilant, si l’on peut ainsi parler, dans quelques-unes de ses puissances, qu’on donne aux autres plus d’énergie. L’homme qui a cessé de prendre part aux affaires de son pays, à la direction de ses grands intérêts moraux, qui, par une conséquence forcée, y devient tôt ou tard indifférent, ne peut guère porter dans l’étude et la culture des lettres cette