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non parce qu’ils avaient la propriété de produire de la lumière, mais parce que mon âme à moi était lumineuse et jeune. Vrai ! si j’étais professeur d’esthétique, je me donnerais le plaisir de vous prouver que ces deux mots contiennent à la fois la réalité et l’idéal, et d’en tirer toute une volumineuse théorie comme un prédicateur-habile tire tout un long sermon de deux mots de l’Écriture.

Les chansons d’amour sont divisées en trois livres : Pour Jeanne seule, — Pour d’autres, — l’Éternel Petit Roman. Les deux premiers se rapportent particulièrement à la vie de l’adolescence ; le troisième se rapporte à cette première jeunesse qui suit immédiatement l’adolescence. Les nuances presque insaisissables qui distinguent chacun de ces âges, si rapprochés l’un de l’autre qu’il serait très permis de les confondre, ont été rendues avec une dextérité et une fidélité extrêmes. Dans les deux premiers, le poète a peint tous les phénomènes propres à cet âge heureux qui participe des caractères de deux âges, la candeur unie à la crânerie, la timidité unie à la pétulance, la tendresse unie à l’espièglerie, le goût du tapage et l’amour de la solitude, cette magie d’imagination qui transforme les objets les plus vulgaires et qui d’une ortie fait une rose, et surtout cette extase étrange et presque mystique des sens à leur éclosion. Écoutez ces strophes adorablement douces où le poète décrit l’angoisse voluptueuse du cœur qui s’ouvre à la tendresse, et reconnaissez encore une fois le grand musicien qui vous a si souvent charmés :

De quoi donc me parlait-elle
Avec sa fleur au corset
Et l’aube dans sa prunelle ?
Qu’est-ce donc qu’elle disait ?
Son intention fut-elle
De troubler l’esprit voilé
Que Dieu dans ma chair mortelle
Et frémissante a mêlé ?
Je ne sais, j’écoute encore.
Était-ce psaume ou chanson ?
Les fauvettes de l’aurore
Donnent le même frisson.
J’étais comme en une fête,
J’essayais un vague essor ;
J’eusse voulu sur ma tête
Mettre une couronne d’or,
Et voir sa beauté sans voiles,
Et joindre à mes jours ses jours,
Et prendre au ciel les étoiles,
Et qu’on vint à mon secours.

Ces pièces, adressées à Jeanne seule% composent la partie la plus