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piration de la Belgique à devenir française est dénuée de vraisemblance, et qu’un pareil vœu ne saurait être non plus soutenu de notre côté par l’opinion démocratique et libérale. Naturellement il faut mettre ici en réserve les questions dynastiques ; mais, ces questions écartées, il est évident que la Belgique ne saurait avoir ni intérêt ni goût à échanger son régime politique intérieur contre celui de la France. Quel attrait à lui offrir que de lui demander de renoncer à la liberté de la presse, à la liberté de réunion, à la liberté d’association, à l’élection de ses bourgmestres, aux attributions de ses conseils municipaux et provinciaux, à son système de magistrature élue, à toute cette liberté de discussion et d’élection qui circule à travers la vie politique belge ! Qu’avez-vous à offrir aux Belges en échange ? La parfaite organisation bureaucratique que l’Europe nous envie, comme disent les Prudhommes absolutistes de chez nous, la gloire et le bonheur d’être administrés en silence ? Les conditions du troc ne sont point égales ; il n’y aurait aucun parti en Belgique pour les accepter. Le parti clérical à cet égard n’aurait pas le cœur moins haut que le parti libéral. Il faut le dire à l’honneur du parti catholique belge, il est trempé dans des traditions libérales, il est à l’abri de cette peste du cléricalisme absolutiste que nous avons eu la douleur de voir renaître en France avec les réactions de 1851. Dans cet ordre d’idées, on le voit, l’union de la Belgique à la France ne serait acceptable et moralement possible que si cette union ne devait imposer à la Belgique aucun sacrifice de liberté, que si la Belgique pouvait retrouver chez nous ce qu’elle possède chez elle. À ce compte, l’union serait bienvenue chez nous, car elle nous vaudrait bien plus que des territoires, bien plus que des populations à soldats, bien plus que des charbonnages que la liberté du commerce met d’ailleurs à notre portée : elle nous donnerait les libertés dont nous sommes privés, l’achèvement de la révolution française, le couronnement de l’édifice, que nous continuons, paraît-il, à ne point mériter, et qui risque de se faire attendre plus longtemps que l’attique du nouvel Opéra. Si au contraire l’union de la Belgique à la France ne devait point nous enrichir des libertés belges, l’opinion démocratique et libérale n’aurait nul motif de la souhaiter. Si nous ne savons point être libres, plaignons-nous et subissons notre sort ; mais du moins ne nous laissons point entraîner, par l’ambition d’une grandeur matérialiste, à supprimer l’autonomie des petits peuples voisins qui nous donnent la preuve constante que l’on peut parler notre langue et conserver la liberté. Semblables au cheval fantastique de Victor Hugo, notre mission à nous est d’être énormes ; qu’elle nous suffise, et consentons à laisser vivre les petits qui ont réussi à être libres et à réjouir la dignité humaine sous un moindre volume. Sérieusement ces petites indépendances qui demeurent françaises par tant de côtés, tout en étant séparées de nous, font honneur à notre race, et ce serait pitié qu’elles fussent anéanties. Il y a dans le dernier livre de M. Quinet une belle page sur les services qu’ont rendus en tout temps à notre génie et à l’âme française nos