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parler de l’Espagne. Si l’histoire de ce pays n’était écrite que par les télégrammes officiels, tout semblerait aller suivant l’ordre ordinaire. Il y a là un cabinet malheureusement orné d’un ministre des affaires étrangères trop adonné à écrire des dépêches vides et ampoulées, à susciter à son pays des affaires lointaines et coûteuses ; mais ce cabinet, après tout, a pour chef un général distingué, loyal, énergique, le maréchal O’Donnell, qui pourrait, ce semble, donner des garanties à la liberté sans mettre l’ordre en péril. Des élections viennent d’avoir lieu. Sans doute le pays s’est désintéressé de la lutte électorale, — des abstentions nombreuses et notables ont semblé dire que les opinions mécontentes n’attendaient plus rien du jeu légal des institutions ; mais les partis ont eu quelquefois en d’autres pays de ces caprices d’abstention boudeuse qui n’ont fait de tort qu’à eux-mêmes et n’ont point eu de conséquences funestes. Il va sans dire que la chambre sortie des élections donne au ministère une majorité considérable. Il semble donc que le gouvernement pourrait marcher, et cependant les préoccupations des Espagnols ne s’arrêtent point à cette surface et se portent en ce moment sur des sujets plus graves. Si l’on peut bien comprendre les agitations qui remplissent Madrid, et dont le télégraphe lui-même laisse transpirer quelque chose, on croirait que ce qui est en jeu, ce n’est point la question ministérielle, — que la partie qui se débat est la question de la couronne, de la dynastie même, au dire de quelques-uns. Une série de contre-temps, de fausses mesures, de maladresses, font maintenant peser sur la personne de la reine le poids de toutes les fautes commises par ceux qui ont pris part depuis vingt ans au gouvernement de l’Espagne. La reine est grosse, elle doit accoucher dans un mois ; elle avait quitté Madrid cet été, froissée de la perte de sa popularité dans la capitale ; elle avait pris plaisir au contraire à prolonger ses excursions dans les provinces du nord, au sein de populations qui fêtaient sa bienvenue avec enthousiasme. Le choléra survint au commencement de l’automne à Madrid ; on sait les cruels ravages qu’il y fit. La première pensée de la reine fut, dit-on, de courir au danger et de le partager avec les Madrilègnes. On n’a pas de peine à le croire, car les adversaires de la reine ne lui ont jamais refusé le courage et la générosité des premiers mouvemens ; mais la reine ne fut point maîtresse d’elle-même, elle fut le jouet des influences qui l’entourent, nonnes, confesseurs, médecins, et le reste. On allégua l’hostilité des Madrilègnes, les ménagemens commandés à la femme par sa situation ; on la retint confinée dans le château de San Ildefonso, où la camarilla se mit en quarantaine. Le choléra diminuait à Madrid ; on finit par la conduire, il y a deux semaines, au Pardo, tout près de la capitale. Ce séjour au Pardo a compliqué la délicatesse qui existait entre la population de Madrid et la souveraine. Il semblait que celle-ci était partagée entre le désir et la crainte d’entrer à Madrid, et l’opposition populaire s’excitait par la peur qu’on en montrait. Les voitures royales lancées à Madrid comme par essai étaient assaillies aux écu-