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Gratiolet, forme ce livre De la Physionomie[1], dernier et brillant témoignage d’une intelligence façonnée aux plus sévères et aux plus délicates investigations scientifiques, fécondée par la maie pratique de tous les problèmes de l’organisation humaine.

Le savant était de haute valeur chez Gratiolet, et je n’ai point à le suivre dans les études d’anatomie comparée, les découvertes, les travaux de toute sorte par lesquels il s’est signalé ; mais il y avait avec le savant, se mêlant au savant et ne faisant qu’un avec lui, l’homme et le penseur ; il y avait l’écrivain, l’écrivain de pure et vigoureuse race qui, dans l’anatomie du système nerveux, a tracé l’analyse des fonctions de l’intelligence humaine, qui a écrit ces pages courantes et neuves sur la physionomie. Fils du midi, né dans une de ces familles où l’éducation première fait les natures saines, élève de l’ancien secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine, l’ingénieux et bienveillant Pariset, qui lui ouvrit la carrière, disciple de l’illustre naturaliste de Blainville, Gratiolet semblait tenir quelque chose de toutes ces influences, surtout de son pays, de sa famille et de Blainville, un de ces hommes de race, d’autorité et d’originalité, dont aucun de ceux qui l’ont approché n’a gardé des souvenirs médiocres. Je me souviens, pour ma part, de m’être trouvé quelquefois, il y a bien des années, auprès de ce maître homme, et j’ai toujours présente cette figure intelligente, éclairée d’un regard si fin, et qui savait se faire si séduisante quand elle n’était pas enflammée par la controverse. Gratiolet, on pourrait le dire, avait de Blainville, et à sa manière à lui, la force et la grâce. Il avait surtout l’intégrité du caractère, qui se manifestait dans sa physionomie ouverte et loyale.

C’était une nature toute spontanée, cordiale, expansive, pleine de feu et d’élan. Au milieu des plus faciles abandons, il gardait je ne sais quelle distinction native. Avec un sentiment supérieur de dignité morale, il avait une véritable candeur. Ambitieux pour la science, il avait de la modestie pour lui-même, et dans les déceptions de sa carrière il ressentait plus vivement ce qui blessait la justice que ce qui blessait ses intérêts. Avec la haine de tous les charlatanismes et des petites transactions, il avait l’indulgence et la bonté du cœur. Il avait enfin beaucoup de choses qui sont d’une nature supérieure et franche et qui n’aident pas toujours au succès immédiat, à l’avancement de la fortune personnelle. Le penseur, en lui, exprimait l’homme et égalait, complétait le savant. L’étude de la nature, aux yeux de Gratiolet, ne se bornait pas à l’analyse patiente et méthodique des phénomènes sensibles de l’organisme humain que le scalpel peut atteindre ou que le microscope peut saisir ; il avait un sentiment élevé de l’unité de la science. Pour lui, la biologie n’était qu’une partie de la philosophie. Il aimait à manier les redoutables, les délicats problèmes

  1. Pierre Gratiolet, de la Physionomie et des Mouvemens d’expression, suivi d’une notice sur sa vie et ses travaux par Louis Grandeau.