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agi conformément aux intentions du roi de France, et pourquoi ne s’en était-il pas expliqué lui-même à l’avance? De telles explications ne vinrent qu’en décembre 1791, alors que Louis XVI se vit acculé à la nécessité imminente de déclarer lui-même la guerre à l’Europe. Le 29 novembre, l’assemblée législative l’avait pressé par un message exprès de faire cesser les réunions d’émigrés que toléraient les électeurs de Trèves et de Mayence. Le même jour, elle rendait un violent décret contre les prêtres non assermentés. Louis XVI fut profondément blessé de cette dernière mesure et y opposa son veto, ainsi qu’à un décret du 9 novembre contre les émigrés; mais, pour faire une concession qui compensât ces refus, il se rendit à l’assemblée le 14 décembre, et déclara qu’il allait adresser aux électeurs d’Allemagne la requête qu’on proposait. Si ces princes n’avaient pas fait droit à sa demande avant le 15 janvier, il déclarerait l’état de guerre. — Louis XVI avait-il donc franchement accepté la constitution en septembre, et pensait-il maintenant à se mettre à la tête de la nation pour attaquer ces mêmes souverains auxquels il demandait hier de le secourir? Se préparait-il à combattre ouvertement ces émigrés dont il venait de refuser la condamnation? Ni l’un ni l’autre. En septembre, Louis XVI s’était laissé aller aux avis des constitutionnels; mais, voyant que, par suite de son acceptation du 14, les cours sur l’appui desquelles il comptait le plus ajournaient, sincèrement ou non, leurs préparatifs de secours, et poussé à bout, désespéré par le décret sur le clergé, il écrivit secrètement aux principaux souverains, dans la journée du 3 décembre, que son acceptation de l’acte constitutionnel n’avait pas été libre, qu’il ne fallait pas en croire sa notification officielle, et que les cours amies ne devaient pas cesser de songer à le secourir; puis il adressa au baron de Breteuil, le lendemain même du jour où il avait été faire à l’assemblée sa déclaration contre les cours étrangères, la lettre suivante, appel direct à l’intervention armée de ces mêmes cours. C’est une page nouvelle dans l’histoire de la contre-révolution[1] :

  1. La lettre adressée au roi de Prusse le 3 décembre a été publiée par d’Allonville sous la date de 1790 ; M. de Sybel, dans son Histoire de la Révolution, a démontré que la vraie date était 1791. J’ai sous les yeux la lettre écrite par Louis XVI le même jour au roi d’Espagne ; c’est une pièce importante où les argumens sont développés, et elle est, je pense, inédite; mais je ne puis tout citer. Plus importante encore et tout aussi inédite sans doute est la lettre au baron de Breteuil, qui se trouve copiée de la main de Fersen aux archives des affaires étrangères, à Stockholm. Ce même jour du 3 décembre, Marie-Antoinette se chargea d’écrire dans le même sens à Catherine II. Cette lettre, fort curieuse, été publiée par M. le comte d’Hunolstein; mais c’est une erreur de la croire adressée à l’impératrice d’Autriche. — A ce propos, qu’on me permette de me corriger aussi moi-même : les deux Duport, dont j’ai parlé pages 674 et 675 de la Revue du 1er octobre, se rattachent bien au même parti, mais n’ont pas montré le même caractère. Il faut éviter toute confusion entre eux.