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sieurs des reproches de Burke sur la manière dont elle se forma subsistent sans doute. Les menées qu’il encouragea, les faiblesses qu’il courtisa, les préjugés qu’il exploita étaient peu dignes de lui; en un mot, il arriva par une intrigue; mais ce qu’il voulait renverser, le cabinet de la coalition, était lui-même une intrigue, et il faut de bonne heure s’habituer à trouver dans Pitt ce qui se rencontre d’ordinaire chez les hommes prédestinés au gouvernement, une conviction si profonde et si naïve de leur droit de commander aux autres, que pour eux l’intérêt de leur puissance se confond avec l’intérêt public, et qu’ils croient rendre service à l’état en satisfaisant à tout risque leur ambition. Il est juste qu’ils soient les maîtres, tout est juste pour qu’ils le deviennent. Il y a du César, c’est-à-dire du tyran, chez eux tous.

Du moment que la guerre de la révolution est commencée jusqu’aux approches de la paix d’Amiens, une nouvelle période s’ouvre. Pitt est appelé à donner des preuves de résolution, d’activité et de courage qui le font apparaître avec une grandeur inattendue. C’est l’époque dramatique de sa vie, celle qui a excité les plus fortes haines et par conséquent les plus vives admirations. Il s’en faut pourtant que ces neuf années de gouvernement soient irréprochables. Son énergie eut souvent à compenser les fautes de son jugement. Il ne se forma peut-être jamais une idée juste de la révolution française, et, sans cesse dépassé par elle, il lui fit face plus par son caractère que par la justesse de ses vues. Incertain entre la guerre de principes, que Burke demandait à grands cris, et la guerre de droit commun, qui était plus dans ses idées, il proportionna rarement les moyens au but. On a, non sans raison, critiqué ses plans d’expédition sur le continent. Le débarquement en Hollande finit d’une manière honteuse par l’effet d’une double faute. Il s’était complétement trompé sur les dispositions de la nation qu’il espérait soulever. Il avait opéré dans une saison beaucoup trop avancée. C’était le moment même où le général Bonaparte revenait d’Égypte. Il venait changer la scène, et quand il se fut emparé du souverain pouvoir et qu’il offrit la paix, Pitt ne se douta même pas de la différence infinie d’une assemblée révolutionnaire au général victorieux qui la disperse à coups de baïonnette pour régner en sa place. Il ne vit dans Bonaparte que l’incarnation du jacobinisme, l’enfant et le champion de ses atrocités. Jamais, à l’entendre, il n’avait été moins à propos de négocier; jamais il n’y avait vu plus de danger. La guerre vaillamment continuée donnait toute espérance d’obtenir enfin une complète sécurité. C’est ainsi qu’il parlait dans un de ses plus violens et mémorables discours. Il le prononçait au milieu de février 1800, et cinq mois après il songeait