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Après cela, il ne faut pas nous étonner de ces assertions qui abondent dans les Pensées de Goethe et dans ses fragmens sur l’histoire naturelle. « Les formes répandues autour de nous ne sont point primitivement déterminées. — Nous croyons à la mobilité perpétuelle des formes dans la réalité. Il s’agirait seulement de savoir pourquoi certaines conformations extérieures génériques, spécifiques ou individuelles se conservent sans altération pendant un grand nombre de générations. — Système naturel, contradiction formelle ; il ne peut y avoir de système dans la nature ; elle est vivante et renferme la vie ; elle passe par des modifications insensibles d’un centre inconnu à une circonférence qu’on ne saurait atteindre. » Ainsi plus d’espèces, plus de genres originellement déterminés. Toutes les formes organiques dérivent les unes des autres par des transformations lentes, comme tous les organes de l’individu ne sont que des transformations successives de parties identiques. Il faut aller jusqu’au terme de la doctrine de l’unité. Y a-t-il même une distinction originelle à établir entre les formes végétales et les formes animales ? Goethe ne fait guère que poser la question ; mais on devine sa pensée. « Lorsqu’on observe des plantes et des animaux inférieurs, on peut à peine les distinguer. Un point vital immobile ou doué de mouvemens à peine sensibles, voilà tout ce que nous apercevons. Ce point peut-il devenir l’un ou l’autre suivant les circonstances, plante sous l’influence de la lumière, animal sous l’influence de l’obscurité ? Quoique l’observation et l’analogie indiquent qu’il en doit être ainsi, nous n’oserions l’affirmer ; mais ce qu’on peut assurer, c’est que les êtres issus de ce principe intermédiaire entre les deux règnes se perfectionnent suivant deux directions contraires. La plante devient un arbre durable et résistant, l’animal s’élève dans l’homme au plus haut point de spontanéité et de mobilité. » Goethe va plus loin que M. Darwin[1] ; non-seulement il fait dériver toutes les espèces de chaque règne d’un genre supérieur qui les contient tous, mais il ramène, par une hypothèse qui lui semble infiniment vraisemblable, les deux règnes eux-mêmes, animal et végétal, à n’être que les transformations du point vital, selon la double et contraire influence de la lumière ou de l’obscurité. Le commencement de tout organisme, le principe de toute vie est la cellule. Elle est la même pour les deux règnes, pour tous les genres et toutes les espèces des deux règnes. La métamorphose suffit à tout expliquer. Et la cellule elle-même ne devra-t-elle pas sa naissance équivoque à quelque affinité chimique qui reliera entre eux les deux mondes, organique et inorganique, et qui fera le passage entre la mort et la vie ?

  1. Ch. Darwin, On the origin of species by means of natural selection. 1859.