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22 octobre.

Le Canada donne en ce moment l’étrange spectacle d’une métropole qui offre l’indépendance et d’une colonie qui ne la veut pas tout entière. Depuis longtemps, les Anglais ont eu le bon sens de comprendre que le régime du monopole énerve les colonies et oblige ensuite la mère-patrie à des efforts coûteux pour les soutenir. Ils ont donc laissé le commerce du Canada libre, se réservant seulement quelques avantages insignifians et l’influence générale que leur donne ce pied en Amérique; mais cela même ne compense pas l’obligation qu’ils s’imposent de protéger leur colonie. En cas de danger, cette protection deviendrait trop onéreuse, sinon tout à fait impossible. Il s’agit donc pour eux, non de posséder le Canada en maîtres, mais de le fortifier assez pour qu’il puisse se faire respecter tout seul.

Or le projet actuel est un acheminement vers cette situation nouvelle. Les Anglais ne retirent pas leurs troupes, mais ils stipulent qu’ils ne seront chargés, en cas de guerre, que de la défense des forteresses. L’immensité des territoires ne permet pas davantage à une armée de quinze mille hommes, et c’est tout ce que les Anglais veulent laisser au Canada. Que les Canadiens s’organisent eux-mêmes pour tout le reste, qu’ils choisissent le genre de gouvernement qu’ils préfèrent, république élective, ou, comme c’est plus probable, monarchie constitutionnelle sous la forme d’une vice-royauté les Anglais ne se réservent rien que la position d’alliés, de protecteurs et d’amis. Que cette voie conduise à l’indépendance absolue, cela frappe les yeux de tout le monde. L’Angleterre ne s’en effraie pas, et elle a le bon sens de comprendre que les colonies ne sont pas des esclaves dont on exploite le travail, mais des mineurs qui doivent s’affranchir au jour de leur force et de leur âge mûr. Il ne manque pas au contraire de Canadiens à qui paraît fort dure l’obligation de se défendre eux-mêmes, et qui accorderaient volontiers à l’Angleterre plus de pouvoir en échange d’une protection militaire plus efficace.

La question financière aussi est difficile à résoudre. Le Canada a de grandes ressources, mais une dette; les provinces de l’est ont de faibles revenus, mais point de dettes. Il faut qu’elles acceptent les charges de la dette canadienne en échange des ressources nouvelles que le Canada leur apporte, et il faut que le Canada, à son tour, consacre ses capitaux à des entreprises qui, sans lui, seraient inexécutables. Aujourd’hui la voie de Portland est encore la plus prompte du Saint-Laurent à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick ; il faut passer par les terres du voisin pour aller de l’un chez l’autre. Et en hiver, quand le Saint-Laurent est bloqué par