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institutions américaines. Le crime ne tombe, dit-on, ni sous le coup des lois des états, ni sous le coup des lois de l’Union; il y du reste conflit de juridiction entre les tribunaux de l’état de New-York, auquel les accusés appartiennent, et ceux de l’état du Maryland, où le crime a été commis. L’autorité militaire, ce grand deus ex machinâ qui tranche avec le sabre toutes les difficultés politiques, devait donc s’en emparer. La vérité est que, le gouverneur ayant trempé dans le complot, le président ne pouvait s’en remettre à lui de la poursuite; l’affaire, abandonnée à l’état de New-York, tombait entre les mains de juges démocrates qui auraient acquitté les yeux fermés.

Tout en s’indignant contre ces expédiens criminels, les journaux républicains tonnent contre le pacifique Canada, qu’ils accusent d’entretenir à la fois une pépinière de voleurs rebelles et une armée de votans illégitimes, prêts à envahir le pays à la veille de l’élection. Les magistrats locaux reçoivent l’ordre de surveiller strictement les listes électorales et d’exiger des électeurs des certificats de notoriété. Enfin la lutte est si vive, si pressante, qu’on craint que le moindre cheveu ne change les poids de la balance. L’or remonte, ce qui n’indique pas grande confiance. Il court des bruits fâcheux aux armes fédérales. De leur côté, les gens du sud trouvent des ressources nouvelles dans un effort inattendu. On dit que, pour résister plus longtemps, ils sacrifieront jusqu’à leur institution sainte. Les gouverneurs des états de Virginie, des deux Carolines, de la Georgie, de l’Alabama et du Mississipi se sont réunis en convention le 17 octobre pour signer ensemble une proclamation solennelle d’union obstinée jusqu’au dernier sou et jusqu’au dernier homme. Ils offrent de mettre les esclaves de leurs états respectifs à la disposition du gouvernement confédéré pour en faire des soldats. On donnerait aux survivans seize acres de terre et la liberté. Cinq cent mille nègres seraient ainsi armés, comme ces esclaves et ces prisonniers que les Romains envoyaient à la boucherie en leur promettant la liberté. On recommande aux planteurs de ne pas laisser leurs esclaves s’enfuir aux armées fédérales, afin de les garder en réserve pour la dernière effusion de sang. « Après avoir épuisé nos blancs, nous ferons, dit un journal de Richmond, tuer nos nègres jusqu’au dernier. » L’enrôlement des nègres tue à la fois et l’esclavage, dont c’est le coup de grâce, et cette malheureuse race noire, qu’on extermine en l’émancipant.

Chicago, 3 novembre.

Je suis à l’heure qu’il est dans un dénûment complet. Arrivés à Détroit avec un long retard, on nous embarque sans nos bagages,