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d’être un paradoxe. Inventer de nouvelles hypothèses est chose périlleuse quand depuis des années la science tourne dans un cercle battu, et qu’aucune donnée nouvelle n’y a été introduite. Ce qui est plus dangereux encore, c’est la tentation qu’éprouvent les esprits faux et sophistiqués, quand il n’y a plus rien de nouveau à trouver, de défaire ce qui a été bien fait. La science repose sur la liberté, et la liberté consiste à pouvoir toujours mettre en doute les résultats acquis; mais de là sortent de très graves inconvéniens, je veux dire ces stériles agitations d’esprits inquiets, ces pas en arrière sous prétexte de progrès, ces thèses bizarres où l’on voit remettre en question ce que le génie des grands maîtres avait prouvé. M. Kuenen échappe à ces défauts, qui malheureusement en Allemagne ne sont point rares depuis quelque temps. Il expose toutes les opinions, les pèse avec une sagacité admirable, trace avec sûreté la limite de ce qui est probable, douteux, certain, impossible à savoir. La grande solidité de l’esprit hollandais, à laquelle ces études durent au XVIIIe siècle de si grands progrès, s’est heureusement retrouvée au moment de leur maturité pour les résumer, en juger les résultats et en tirer les conclusions.

On a pensé que, dans l’état actuel des études savantes parmi nous, une traduction de l’ouvrage de M. Kuenen serait un grand service. L’ouvrage entier se compose de trois volumes, le premier consacré aux livres historiques, le second aux livres prophétiques, le troisième aux livres poétiques et à l’histoire du canon. M. Pierson, ancien pasteur de l’église wallonne de Rotterdam, a consacré à la traduction de longs efforts, une profonde connaissance des sujets traités dans le livre, et un vif amour de ces études où il est lui-même un maître autorisé.

On espère que cette traduction lèvera un des principaux obstacles qui s’opposaient au progrès des études hébraïques parmi nous. Un des livres les plus désirés des personnes avides de s’instruire qui ne peuvent lire l’allemand était une de ces introductions qui présentent en résumé les discussions sur l’authenticité, l’intégrité, la date de chaque livre de la Bible. L’ouvrage. de M. Kuenen atteint parfaitement ce but. C’est la dernière des grandes compositions de ce genre et le plus au courant de l’état des connaissances. Il ne doit pas nous en coûter de recevoir un tel livre de l’étranger. Ces grandes études de critique, nous les avions fondées; puis l’intolérance, la victoire de l’esprit étroit et superficiel, l’invasion des gens du monde dans le domaine de la science, détruisirent ces beaux commencemens. A part quelques illustres exceptions, les essais de l’érudition française dans le champ des études de philologie hébraïque eurent quelque chose d’incomplet, parfois de puéril. Cette histoire est curieuse; elle vaut la peine d’être racontée.