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Ce que l’on vient de dire peut sembler un lieu commun, car on n’entend plus guère vanter les bienfaits de l’ignorance. Ministres et députés, livres et journaux proclament à l’envi la nécessité, l’urgence de s’occuper de l’enseignement; mais il est douteux qu’on soit suffisamment préparé à subir la contrainte et les sacrifices nécessaires pour réussir dans l’œuvre qu’on s’impose. Afin qu’on ne se fasse pas d’illusions à cet égard, il est utile d’étudier les mesures qu’ont prises les nations qui se sont le plus approchées du but qu’on a en vue. Un exemple entre autres fera bien voir à quel prix on parvient à répandre l’instruction dans le peuple.


I.

Il y a, je crois, dans le monde quatre nations qui peuvent dire avec un légitime orgueil que tous leurs citoyens savent lire l’Allemagne du nord, la Norvège, la Suisse et les États-Unis; mais aux États-Unis non-seulement chacun sait lire, mais chacun lit pour s’instruire, pour se distraire, pour prendre part aux affaires publiques, pour mieux diriger son travail, pour apprendre à gagner plus d’argent, ou pour mieux se pénétrer des vérités religieuses. On y imprime deux fois plus que partout ailleurs, et l’Union seule consomme autant de papier que la France et l’Angleterre ensemble. D’après les statistiques, le nombre des abonnemens aux journaux, divisé par le chiffre des habitans, donne plus d’un abonnement par famille. Les feuilles quotidiennes se tirent à cent mille, certains écrits hebdomadaires à quatre cent mille exemplaires. Tous les voyageurs qui parcourent l’Amérique sont frappés de voir tout le monde et les gens du peuple autant que les autres occupés à lire. Au printemps de cette année, je visitai la magnifique frégate fédérale le Niagara, qui avait jeté l’ancre dans le port d’Anvers tous les matelots qui n’étaient pas de service avaient à la main un livre, une revue ou un journal. En Europe, à la sortie de l’école ou quand le jeune homme entre à l’armée, on constate s’il sait, oui ou non, déchiffrer quelques lignes; mais cette connaissance superficielle de la lettre moulée lui est la plupart du temps à peu près inutile il n’en fait pas usage. En Amérique, la lecture est une habitude quotidienne, la source de la prospérité générale et la condition essentielle du maintien des institutions républicaines.

L’école primaire, tous les Américains l’avouent, est la base de l’état, le ciment de la fédération. Gratuite pour tous, ouverte à tous, recevant sur ses bancs les enfans de toutes les classes et de tous les cultes, elle fait oublier les distinctions sociales, amortit les animo-