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d’une grande guerre, le moindre succès est bien venu, quelque prix qu’il coûte, surtout quand on est fatigué des triomphes sans cesse renouvelés de l’adversaire.

Cependant des événemens se préparaient qui devaient un jour offrir pour notre malheur à l’Angleterre de meilleures compensations. La fatale idée de soumettre de manière ou d’autre à son empire la péninsule dont nous séparent les Pyrénées avait pris possession de l’esprit de Napoléon. Une armée était allée réduire le Portugal aux lois du blocus continental; une armée avait pénétré jusqu’au cœur de l’Espagne. La maison de Bragance avait fui en Amérique; la maison de Bourbon s’était rendue prisonnière. Un frère de Napoléon se croyait roi, mais il l’était d’un peuple en insurrection. Un peu plus de cent ans s’était écoulé depuis qu’une armée anglaise avait été envoyée pour provoquer et soutenir un mouvement national en Espagne contre un petit-fils de Louis XIV. L’exemple paraissait à suivre; l’opinion se déclarait. Le ministère obéit; il dirigea trente mille hommes en Portugal. C’est ce ministère obscur et dont l’histoire saura à peine le nom qui fit ces deux grandes choses porter la guerre dans la Péninsule et la donner à conduire à sir Arthur Wellesley.

Sans doute ce ministère et Canning lui-même, qui s’est attribué l’honneur de l’entreprise, ne prévoyaient pas l’importance de ce qu’ils venaient de faire, et qu’un jour ce serait près des frontières maritimes du Portugal que s’arrêterait pour la première fois la fortune de Napoléon; mais, plus imprévoyante encore, l’opposition fit retentir la chambre de ses plaintes. Les Espagnols avaient bien été vainqueurs à Baylen, et les Anglais à Vimiero; mais, grâce à la généreuse convention de Cintra, l’armée française s’était retirée avec ses armes et son honneur saufs. On disait donc perdu tout le profit de la victoire. Napoléon entrait dans Madrid; les forces anglaises, après avoir pénétré en Espagne, étaient obligées de rétrograder, et sir John Moore tombait sans vie sous les murs de la Corogne. Armés de ces derniers échecs, Grenville et Ponsonby éclataient dans les deux chambres avec une telle violence que le cabinet troublé se divisait, que Canning voulait donner sa démission, et que les ministres, s’accusant les uns les autres, disaient en confidence à leurs amis que c’en était fait de la guerre d’Espagne. Ainsi ils songeaient à abandonner ce qui devait relever la gloire de l’Angleterre et commencer la ruine de leur ennemi. Enfin on crut à un changement qui se serait peut-être accompli sans la force que donnait au ministère la faveur du roi. Voilà la sagesse humaine, voilà comme se font bien des grandes choses; voilà comme le pouvoir d’en faire est quelquefois donné par de mesquines causes