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qu’il convoquait une diète ou bien qu’il méditait une guerre. Il racontait souvent, et sans aucune expression de doute, la légende connue dès lors en Suède sous le nom de vision de Charles XI, et qui est devenue célèbre chez nous aussi grâce au talent d’un incomparable conteur c’était, on le sait maintenant, un haineux pamphlet contre les rois, une vague menace de punition sanglante, une saisissante fiction, tout imprégnée de l’âpreté des discordes civiles, et qu’il eût été de l’intérêt de Gustave III de faire oublier. La franc-maçonnerie s’était fermement établie en Suède dès le milieu du XVIIIe siècle, et Gustave, ainsi que les princes ses frères, s’y était de bonne heure affilié. Il en accepta tout d’abord les prétendus mystères avec une ferveur qui parut dépasser celle des plus sincères croyans. On le vit se présenter avec humilité aux divers degrés d’initiation, admettre dans sa correspondance, au moins à l’égard des francs-maçons, certains signes mystérieux dont sa loge était convenue, et porter au cou, dans une boîte d’or, un sachet contenant une poudre précieuse qui devait éloigner les malins esprits. Quelques hommes crédules et un plus grand nombre de fourbes lui inspirèrent bientôt l’ardente convoitise du grand œuvre, de la pierre philosophale et des évocations surnaturelles. Un de ses confidens, qui a laissé d’intéressans mémoires, le secrétaire d’état Elis Schröderheim, nous a transmis l’entière description d’une de ces bizarres scènes où le roi de Suède apportait une trop visible émotion.

C’était un vendredi saint, jour choisi de préférence pour les grandes opérations magiques. Le rendez-vous était chez Plommenfelt, un voyant renommé qui demeurait dans une rue de Stockholm assez voisine du château, à un second étage. A onze heures du soir, Gustave III arriva avec ses deux frères, le duc Charles et le duc Frédéric. Le roi et les princes avaient jeûné tout le jour et se sentaient travaillés; dit naïvement Schröderheim, par toute sorte d’inquiétudes. Plommenfelt ne parut qu’à minuit; ses cheveux étaient rejetés en arrière, et il avait l’air égaré. Prenant dans ses bras un crucifix, il disposa les assistans autour d’un cercle tracé sur le plancher avec du charbon, puis se plaça lui-même devant une table au milieu de ce cercle. Pendant près de trois quarts d’heure, il traça des lignes avec de la craie, consulta son miroir, se recueillit, prononça avec de grands soupirs des formules et des prières. Après un long silence, des coups se firent entendre dans les murailles c’étaient, dit Plommenfelt, les annonces des esprits; s’ils ne se montraient pas, les péchés de quelqu’une des personnes présentes, non effacés, en pouvaient seuls être cause. C’est après une si grave déclaration que le voyant se mit à interpréter le texte sacré désigné à l’avance, et au sujet duquel on avait dû faire déjà la veille de pieuses méditations. A peine avait-il commencé son homélie que le jeune