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forment en effet la descendance directe et presque pure de ces Guaranis que les premiers immigrans espagnols trouvèrent en lutte contre des tribus rivales aujourd’hui éteintes, et avec lesquelles ils firent une alliance qui facilita la conquête. Les Européens n’ont jamais été nombreux sur ces terres éloignées, le gros de l’invasion n’ayant guère dépassé Buenos-Ayres. Le sang latin s’est donc perdu depuis longtemps dans la masse populaire, qui a repris tous les caractères de la race primitive. C’est ce dont on ne saurait douter, quand on observe à L’Assomption, dans tous les rangs de la société, le type héréditaire de la population les pommettes saillantes, les yeux souvent obliques, toujours relevés à l’angle extérieur, la face pleine, circulaire, le nez court, étroit, la coloration jaune de la peau mélangée d’un peu de rouge, le regard doux, un peu sauvage, et par-dessus tout cela un air d’intelligence et de fierté. Avec ces caractères physiques ont survécu quelques-unes des particularités morales de la vieille race c’est par exemple, dans le combat, en face du danger, la même ténacité, la même intrépidité farouche, un impassible mépris de la mort. Il y peu de temps, dans les marais de Yatay, attaqué par des adversaires trois fois supérieurs en nombre et foudroyé presque à bout portant par une artillerie supérieure, un corps paraguayen s’est laissé décimer sans lâcher pied et sans se rendre. Le général brésilien Barroso, qui commandait l’escadre alliée dans les eaux de Corrientes, raconte dans son rapport officiel que les officiers paraguayens faits prisonniers ont arraché l’appareil fixé sur leurs blessures pour ne pas. survivre à la honte de leur défaite. Ne croirait-on pas relire quelque épisode de la dernière résistance des Incas, ou du combat livré par Fernand Cortez sur la chaussée de Mexico?

C’est en effet, cachée sous le nom et les apparences d’une république néo-espagnole, une autocratie indienne que le docteur Francia et la dynastie des Lopez ont réussi à reconstituer dans ce coin reculé du Nouveau-Monde. Chez ce petit peuple, où le gouvernement a seul le droit de commercer avec l’étranger, où les citoyens sont tous, sans exception, soumis à une sorte de servage, où toutes les conditions de la propriété sont méconnues et altérées au profit de l’état, une transformation est évidemment nécessaire. Seulement elle doit être l’œuvre du temps et de cet inévitable ascendant que les civilisations avancées exercent toujours sur les peuples les plus retardataires. Cette invasion à main armée ne fait qu’irriter les susceptibilités d’une race ombrageuse et qu’accroître ses haines instinctives contre tout ce qui est« étranger. Elle aura de plus pour résultat regrettable, si elle réussit, de renverser un gouvernement qui, malgré tous ses vices, assurait, par sa stabilité même, une sorte de prospérité à ces populations, pour le remplacer par l’anarchie stérile qui est le fléau des républiques du sud.


J. DE CAZAUX.