Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous savez que la constitution des États-Unis a établi l’élection présidentielle à deux degrés. Cet usage est devenu une pure fiction légale. L’électeur du premier degré impose toujours un mandat impératif à celui qu’il nomme, et celui-ci n’est qu’un instrument. La souveraineté du vote populaire est si publiquement reconnue, que les bulletins portent les noms des candidats à la présidence avant ceux des électeurs qui doivent les nommer. À quoi sert donc cette complication d’une formalité vaine, ce maintien apparent d’une théorie dont l’ombre à peine est conservée ? Les Américains se garderaient bien de la modifier. Ils pensent que ce système a pour avantage de forcer les partis à la discipline, de les grouper étroitement, de les obliger à un choix unanime. Plus les institutions sont démocratiques, plus l’élection à deux degrés leur paraît indispensable. Ce n’est pas, comme l’imaginent volontiers nos démocrates, une façon détournée de confisquer le vote populaire ; c’est le seul moyen au contraire de le sauver de l’impuissance et de la confusion.

C’est enfin l’organisation des partis qui, dans la démocratie américaine, forme et conserve le lien national. Il ne suffit pas d’un article de loi pour fonder un peuple. Malgré l’autorité suprême de la constitution des États-Unis, l’union fédérale ne pourrait tenir tête à des gouvernemens séparés et souverains, si les dissidences locales y régnaient sans partage. Pour que les Américains soient un peuple, il faut que toutes les passions, tous les intérêts des factions locales se rattachent à une pensée commune, et c’est là justement le service que rendent les partis. Peu importe que la constitution des États-Unis laisse à l’état d’Illinois ou de Missouri une grande part de son indépendance souveraine, qu’elle lui concède même, si l’on veut, le droit absurde de la sécession, si les mêmes idées, les mêmes passions animent les républicains de l’Iowa et ceux du Maine, si les démocrates de l’Ohio obéissent à la même direction politique.que les démocrates de New-York. Rien ne donne au peuple l’esprit conservateur comme l’habitude de voir souvent le gouvernement descendre sur la place publique.

La démocratie porte en elle-même son remède. Tandis qu’un ordre matériel rigoureux n’engendre souvent qu’une sécurité trompeuse en cachant à une société endormie l’incendie qui la dévore, ce régime de grand air et de lutte publique, qui semble une menace perpétuelle, est la plus puissante cause d’union et la plus sûre garantie d’ordre politique. Si le repos de la vie quotidienne est moins profond, du moins n’est-on pas exposé à ces commotions soudaines qui surprennent et foudroient un peuple et le laissent à demi stupide aux mains du premier venu. Le danger n’est pas d’avoir