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chute soit continue et progressive. Si un empire est en train de s’élever, il faut aussi qu’il s’élève par un progrès continu, sans s’interrompre par un accident inattendu. Nous savons bien, il est vrai, que le hasard a une grande part dans l’histoire privée et publique de l’humanité ; nous n’aimons pas cependant l’histoire d’un homme ou d’un état qui n’est qu’une suite de hasards. Or telle est l’histoire du bas-empire, une suite de hasards, contradictoires, hasards de mort, hasards de vie, hasards de faiblesse, hasards de force. Il n’y a qu’une seule manière d’expliquer ces hasards, et je dirai même qu’ils me plaisent ainsi expliqués : ils dépendent des individus ; ils sont bons ou mauvais selon les individus qui entrent tour à tour sur la scène. Il n’y a pas d’histoire où l’individu ait un plus grand rôle que dans l’histoire du bas-empire, de ce grand théâtre cosmopolite qui. reçoit des acteurs de toutes les parties du monde. Quel roman perpétuel, roman de palais et de cour, roman de caserne et de camp, roman de cloître et d’église ! Toutes les causes d’aventures dans la vie humaine se trouvent réunies dans les événemens du bas-empire, la guerre et la fortune militaires, les femmes et les intrigues d’alcôves, les hérésies, les schismes et les agitations de sacristies. Il y a pour l’individu dans cet empire toutes les manières de réussir, les bonnes, les mauvaises, celles qui sont mêlées de bien et de mal. Et réussir, cela veut dire le succès le plus inattendu et le plus grand, de simple soldat devenir empereur, de mignon devenir prince, de bedeau devenir patriarche ! Le malheur de cette histoire romanesque, qui est toujours tout près de me plaire parce qu’elle fait une large place aux vertus et aux vices de l’individu, c’est qu’elle a trop d’acteurs, trop de personnages. De là une sorte de confusion et de pêle-mêle qui déroute l’attention. On ne sait à qui entendre au milieu de tant de personnages qui ont tous et tour à tour le premier rôle. On se fatigue à prendre intérêt à tant de princes et à tant de princesses, quoiqu’ils diffèrent de race, de pays, de caractères, d’idées et de goûts. Les uns, il est vrai, tâchent de restaurer l’empire par leurs qualités ; les autres en hâtent la chute par leurs vices. Rien néanmoins dans cette histoire ne se décide ni en bien ni en mal, et le lecteur s’impatiente d’attendre un dénoûment qui ne vient jamais.

Ce sont pourtant ces restaurations temporaires qui doivent le plus exciter l’intérêt, et celle qui se fit de la domination byzantine dans l’Italie méridionale au Xe siècle doit surtout attirer notre attention, — d’un côté parce qu’elle fut la dernière en Italie et qu’elle amena un dénoûment, de l’autre parce qu’aucune peut-être ne caractérise mieux ces résurrections intermittentes et passagères qui sont le trait distinctif de l’histoire du bas-empire.