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dans la carrière, son caractère messianique se montre de plus en plus clairement aux yeux de ses compagnons ; mais le peuple ne voyait tout au plus en lui qu’un prophète et un homme d’une science et d’une puissance extraordinaires. Quant aux pharisiens, leurs craintes et leur hostilité allaient croissant, parce que, connaissant eux-mêmes par tradition la théorie du Messie, ils redoutaient de la voir se réaliser en Jésus. On se ferait une idée très fausse du fondateur du christianisme, si l’on pensait qu’en prêchant sa doctrine il se jetait dans les hasards et courait volontairement à la mort ; il l’a subie, il ne l’a point recherchée ; la conscience supérieure qu’il avait de sa destinée ne l’a point fait reculer devant le dernier supplice. S’appliquant à lui-même tout le premier la théorie du Christ, quand il vit qu’il ne pouvait réaliser sa mission sans mourir, il accepta la mort avec cette douceur ineffable que nul homme n’a égalée ; mais durant toute sa prédication ses disciples le virent user pour lui-même d’une prudence quelquefois supérieure a la leur et leur livrer à eux seuls un mystère que le peuple juif n’était pas préparé à entendre. Ce fut au dernier moment qu’il avoua presque malgré lui, en termes équivoques, sa qualité de fils de Dieu, aveu que ses ennemis déclarèrent un blasphème. S’il eût proclamé tout d’abord ce mystère, il est à croire que sa mission eût échoué dès le début. La prudence qu’il montre si souvent dans les Évangiles exclut de sa personne toute exaltation et rehausse encore sa douceur.

Jésus mourut donc sans avoir divulgué la théorie secrète sans laquelle son rôle était inexplicable et sa religion impossible : sur ce point, l’apparence même du doute doit disparaître, tant les textes sacrés sont formels. A partir de ce moment, l’apparition progressive du mystère se déroule comme un drame qui commence à Pierre et ne se dénoue que par l’Évangile de Jean. On ne connais, sait de Jésus que ses discours publics et ses miracles ; sa vie était presque inconnue, sa mort seule avait frappé d’étonnement ceux qui en avaient été les acteurs ou les témoins. Quant à sa pensée intime, on l’ignorait ; on savait seulement qu’il avait une doctrine mystérieuse dans laquelle un rôle extraordinaire lui était assigné, et dont il avait livré le dépôt à ses plus chers confidens. Ceux qu’on a nommés les apôtres, et dont le nombre a été fixé à onze, si l’on en retranche le traître Judas, ne furent pas les premiers qui parurent en scène après la mort de Jésus. Ils étaient demeurés à Jérusalem : Juifs, frappés de terreur par la mort du maître, relevant d’ailleurs de la loi dont l’application était aux mains de leurs ennemis, ils gardaient le secret et ne le confiaient qu’à un petit nombre de fidèles ; publiquement ils affirmaient, Pierre à leur tête, que Jésus n’avait point voulu renverser la loi mosaïque ; ils