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l’influence de l’exemple paternel. Ce fut toute une affaire dans la cour du landgrave. De tels événemens, toujours gravés dans la moindre famille, sont bien autrement sérieux dans une maison souveraine, et qu’on se représente surtout ces petites cours allemandes du XVIIIe siècle, où le formalisme impérieux de l’étiquette donnait à tout événement non prévu des proportions colossales. En vérité, c’était une révolution intérieure que cette abjuration de la foi protestante par le prince héréditaire. Il y eut, on le devine aisément, des scènes pénibles, des négociations orageuses ; bref, le père dut renoncer à ses enfans. Ils furent confiés à leur mère, qui était demeurée fidèle à son église, et placés sous la protection du grand-père maternel, le roi de la Grande-Bretagne, auquel s’adjoignirent deux autres souverains protestans, le roi de Danemark et le roi de Prusse. Notre jeune prince avait dix ans quand il fut envoyé avec ses frères à Gœttingue, dans le palais de son grand-père et tuteur George II. On sait que la maison de Brunswick, appelée au trône d’Angleterre après la mort de la reine Anne, avait conservé le Hanovre à titre de fief masculin, et que ce fief, après avoir appartenu tout un siècle à la couronne de la Grande-Bretagne, ne s’en est détaché que de nos jours, en 1837, à l’avènement de la reine Victoria. C’est donc à Gœttingue, dans le palais du roi d’Angleterre, électeur de Hanovre, que les jeunes princes de Hesse trouvèrent un asile en 1754, sous la surveillance de leur mère, toute dévouée à leur éducation. L’année suivante, George II ayant fait un voyage en Hanovre, les enfans furent présentés à leur grand-père au château de Herrenhausen. Bientôt après éclata la guerre qui allait agiter l’Europe pendant sept années, et comme le Hanovre était un des théâtres de la lutte, les jeunes pupilles du roi d’Angleterre furent conduits à Copenhague. Là encore ils trouvaient sur le trône un tuteur et un parent : le roi de Danemark Frédéric V avait épousé une sœur de leur mère. C’est à Copenhague, sous les yeux de ce vieil oncle, si grave, si bon, si respecté, auprès d’une mère « l’ornement et la perfection de son sexe, » que les jeunes princes commencèrent leur éducation. Le landgrave Charles en parle en termes intéressans.


« Nous fûmes élevés dès notre enfance un peu différemment de la manière alors usitée. Ma mère y prit autant de part qu’il lui fut possible, et ce fut à l’anglaise. On nous donna, au moment où nous sortions des mains des femmes, un gouverneur et un informateur[1], tous deux Suisses et très éloignés dans leurs sentimens des principes d’alors. Le pédantisme, les

  1. C’est le mot informator que les Allemands ont emprunté aux Latins pour dire un précepteur, un instituteur domestique.