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dans la baie de Soudjouk-Kaleh, vers le nord de la côte tcherkesse, et débarqua sa cargaison ; mais au bout de trente-six heures, le 27 novembre 1836, son navire fut saisi par le brick russe l’Ajax et conduit dans le port militaire de Sébastopol. Une commission du conseil de l’amirauté en prononça la confiscation pour le fait de contrebande et pour avoir violé les prescriptions de la police sanitaire. Cet acte de rigueur, considéré comme un outrage infligé au pavillon britannique, provoqua une explosion de colère et d’indignation parmi nos voisins d’au-delà du détroit ; l’affaire fut portée devant la chambre des communes[1] et y excita un orage violent, mais qui fut de courte durée et tout à fait inoffensif, car, au grand scandale de l’opposition et en dépit de l’opinion publique soulevée, le ministre recula devant les complications que cet incident pouvait occasionner, et, tout en faisant ses réserves in petto sur la question de droit, subit bénévolement le fait accompli. Lord Durham, alors ambassadeur à Saint-Pétersbourg, eut ordre de donner un acquiescement tout pacifique aux explications telles quelles du comte Nesselrode. Le ministre russe confirma par une note très explicite la validité de la prise du Vixen, par la raison que ce navire était entré sans autorisation dans un port appartenant à la Russie, et s’était livré à des opérations commerciales prohibées. Les réclamations et les démarches des propriétaires du Vixen auprès de leur gouvernement n’eurent pas plus de succès ; ils n’obtinrent aucune indemnité et furent ruinés. Le blocus continua comme par le passé, et les contrebandiers turks seuls se hasardèrent sur le littoral tcherkesse ; partant des ports de Trébizonde ou de Sinope, ils profitaient des ténèbres de la nuit ou de l’obscurité de l’atmosphère, voilée par le brouillard ou l’orage, pour tromper la vigilance des croiseurs russes. Montés sur leurs bateaux plats (kotckermas), ils rasaient la côte en défiant des bâtimens forcés par leur structure et leur tonnage de stationner dans les grandes eaux. S’ils étaient poursuivis de près, ils trouvaient dans les anfractuosités des rochers un abri prompt et sûr, ou, remontant les cours d’eau qui se déversent sur cette côte, ils tiraient leurs embarcations à terre, en les dissimulant sous les grands arbres et dans les hautes herbes. Les risques de ce commerce illicite étaient largement compensés par les bénéfices qu’il procurait ; en retour du sel, de la poudre et des armes vendus aux montagnards, les montagnards emportaient des femmes et des. jeunes garçons, dont les parens trafiquaient sans plus de scrupules qu’ils l’eussent fait de leurs bestiaux.

  1. Séance du 16 juin 1837.