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de la baïonnette. Séparés des Abadzekhs, les Mokoschs et les Egheroukhaïs ne tinrent pas longtemps, s’enfuirent vers la Biélaya. Le 1er juin 1862, tout le cours de cette rivière sur ses deux bords était au pouvoir des Russes. Réduits aux abois, les Abadzekhs implorèrent l’assistance de leurs voisins et essayèrent de se liguer avec eux ; mais la désunion qui existait entre ces tribus ne leur permit pas de s’entendre. Isolés, privés de chefs et de direction, sans unité de plan et d’action, ils s’élançaient par bandes confuses et venaient se briser contre les épais bataillons de l’armée russe.

C’est en ce moment que les Oubykhs entrent en scène et prennent l’hégémonie, tandis que les Schapsougs s’ébranlent de leur côté. A la tête des tribus du littoral, les Oubykhs, franchissant par une marche audacieuse les sommets de la grande chaîne, dont le soleil d’été avait fondu les neiges, tombent sur le flanc et les derrières de l’armée russe. Grande fut la surprise des troupes en voyant descendre de ces hauteurs réputées inaccessibles des hordes à l’aspect étrange, coiffées du bonnet en feutre de forme conique (kalpak) au lieu du bonnet de fourrure en usage dans tout le Caucase (papak). Les Oubykhs se précipitèrent comme un torrent sur les stanitzas et les postes qui s’offraient tout d’abord à leurs coups. Le camp de Kamkheta, entouré d’une redoute, fut emporté d’assaut, et la garnison ne se maintint dans le fort où elle s’était renfermée que par une résistance désespérée. La stanitza Psemenskaia, qui fermait vers le sud la ligne de la Laba, fut prise et quelques jours après détruite, et la moitié de ses habitans traînée en esclavage. En même temps les Schapsougs assiégeaient les forteresses Dimitrief et Gregorief, se répandaient dans la contrée précédemment habitée par les Natoukhaïs, et allaient saccager les établissemens naissans des colons.

Ces succès des montagnards commençaient à inspirer des inquiétudes ; mais, d’après les aveux de M. de Fadeief, ce qui semblait le plus à craindre était l’intervention possible des puissances occidentales en faveur des tribus du Caucase. L’opinion publique en Europe commençait à s’émouvoir pour cette poignée de braves qu’une dernière étreinte de leur colossal adversaire allait étouffer. Les Abadzekhs, en communication avec la mer par les Schapsougs, devenus leurs alliés dans cet instant suprême, ne cessaient de recevoir du dehors des renforts d’hommes, des canons rayés et de la poudre. Lorsque le printemps laissa le champ libre aux hostilités, attaqués par les deux détachemens de l’Adegoum et de la Djouba, les Schapsougs cédèrent, et, opérant leur reddition successivement par villages entiers, furent conduits, sous escorte, sur les terres qui leur étaient assignées dans les plaines du Kouban inférieur. L’im-