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craintive et plus docile que confiante, elles montrent le progrès rapide de l’opposition pacifique. Après s’être révoltés au nom des states rights, nous verrons les hommes du sud briser au nom des mêmes droits leur nationalité prétendue impérissable.

Comme toujours dans les maux sans remède, l’on rejette sur le gouvernement tout le poids des désastres. Le président Davis est si menacé que la presse même de Richmond, cette servante dévouée dont il a si souvent expurgé les rangs et choisi les guides, se divise et se retourne en partie contre lui. Le pauvre dictateur est obligé de faire augmenter son traitement : 25,000 dollars en papier confédéré ne suffisent pas à la vie matérielle dans un pays où un dindon coûte 100 dollars. Là-dessus l’Examiner et le Whig le dénoncent avec une colère et une liberté de langage qui pourraient bien leur être fatales. La presse devient plus factieuse à mesure qu’il fait plus d’efforts pour la bâillonner. L’absolutisme de l’ancien régime étouffait la pensée, et se croyait d’autant plus fort qu’il était plus silencieux. La civilisation moderne a changé tout cela : le journalisme est devenu la cheville ouvrière des gouvernemens paternels. Le président confédéré, homme de progrès et de science, voudrait bien nous emprunter ce régime que le monde nous envie et faire de tous les journaux des officines administratives. Il n’a pas tenu à lui que le congrès ne votât l’institution d’une presse militante et patriotique, chargée de faire la police des opinions, et que les rédacteurs de journaux, gens privilégiés, exemptés de la conscription comme les juges ou les prêtres, ne tinssent officiellement de sa main l’écritoire, la plume et le papier ; mais il y a sans doute dans la race américaine je ne sais quelle barbarie native qui repousse la discipline. M. Davis a beau saisir les presses, expédier à l’armée les écrivains indociles : toujours l’opposition se relève, toujours cette mauvaise herbe étouffe le bon grain qu’il a semé, si bien qu’aujourd’hui on le dit près de jeter la pelle et la pioche, et de livrer son champ, pour une dernière moisson, à la faux guerrière du général Lee.

Telle paraît être la seule issue de ce chaos, la dernière crise de cette lugubre agonie. Quand la guerre pousse un peuple dans la dictature, il faut qu’il en descende jusqu’au bout la pente. Les plus timides deviennent alors les plus violens : faute de savoir reculer à temps, ils se jettent dans un fanatisme aveugle et désespéré. Ceux même qui maudissent le mal dans ses conséquences n’osent pas en voir la cause et le remède. Si leur territoire est déchiré, leurs armées détruites, leurs finances vingt fois ruinées, ce n’est point parce qu’ils ont persisté dans une guerre insensée, c’est parce que « Hood a remplacé Johnston au Tennessee, » parce que Davis a voulu diriger la campagne, parce « qu’il affame les troupes » en