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Le sentiment de la faiblesse de l’humanité a poussé les réformateurs à compter avant tout sur l’association, et le goût de domination qui se remarque chez presque tous les a conduits à imposer cette nouvelle forme à l’activité humaine, au lieu de se borner à la conseiller. L’association ainsi présentée a paru aux esprits inattentifs un instrument d’oppression : son but est au contraire de développer la valeur individuelle et l’esprit d’initiative.

Aujourd’hui les partisans les plus décidés de l’association la veulent libre, indépendante, autonome ; ils n’acceptent ni maîtres ni protecteurs. Ils croient qu’il ne leur faut pour réussir que de l’honnêteté, de l’intelligence, de la persévérance. Dans le parti contraire, on a cessé de considérer l’association comme une menace et de la honnir comme un fléau ; tout au plus persiste-t-on à traiter de chimères les bienfaits promis en son nom. Sur ce pied-là, on peut discuter. Il y a loin de cette compassion protectrice et bienveillante à la haine qu’on avait pour elle il y a vingt ans, et même il y a quinze ans. Si l’association avait accompli dès cette époque, en Allemagne et en Angleterre, les merveilles que nous y voyons de nos jours, il n’est pas très sûr qu’on aurait pu les raconter en France impunément. Il y avait alors deux mondes, — l’un où il fallait à tout prix être socialiste, l’autre où il fallait à tout prix être ennemi des socialistes. C’est déjà un heureux progrès de pouvoir dire honnêtement et simplement ce qu’on pense sans pour cela faire acte de courage.

Le mouvement coopératif comprend trois parties : l’économie, l’épargne et l’affranchissement. Il va sans dire que les grands problèmes sociaux sont ceux qui roulent sur la nécessité et la possibilité de l’affranchissement. Nous ne parlerons ici que de l’économie et de l’épargne en ajoutant ce seul mot, que, si l’affranchissement est jamais possible, l’épargne en est le chemin unique et nécessaire.


I

On épargne pour obtenir avec une moindre somme d’argent la même quantité de bien-être, pour se garantir contre les tristes éventualités du chômage, de la maladie et de la vieillesse, ou enfin pour échapper au salariat. L’épargne, sous sa première forme, s’appelle plus volontiers l’économie.

L’économie est recommandée, même aux riches, comme une des formes de la sagesse. Elle est un devoir étroit pour les pauvres, qui ôtent aux besoins de leur famille l’argent que leur coûtent leurs plaisirs quand ils en prennent, ou celui qu’ils perdent par une mauvaise organisation de leurs dépenses nécessaires. Ce devoir